Théâtre
“Boîte noire”, une contre-plongée vers l’amour du spectacle à Vidy

“Boîte noire”, une contre-plongée vers l’amour du spectacle à Vidy

10 July 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Voici la situation. Pendant trois mois, le Théâtre Vidy Lausanne a été confiné. Jusque là rien d’anormal en ce moment. Mais à l’heure de la réouverture, il doit fermer, comme prévu pour des grands et beaux travaux. Alors ? Alors pour dire à la fois bonjour et au revoir, Stefan Kaegi a été invité à faire ce qu’il sait le mieux faire : un théâtre documentaire, mais cette fois, dont les personnages ne sont plus que des voix… ou presque.

 

“Il faut du noir pour faire de la lumière”

Silence, action ou presque. Comme au cinéma, il est question de zoom et de travelling. Casque sur les oreilles (et charlotte covid-friendly sur les cheveux), nous sommes invités à devenir chacun une Boîte Noire de ce théâtre qui va en quelque sorte disparaître puisque les travaux de modernisation vont modifier la salle et la cage de scène. En interview, Vincent Baudriller expliquait : “Donc, nous savions que le 8 juin nous voulions ouvrir, mais nous ne savions pas comment. Nous discutions avec Caroline Barneaud, aujourd’hui directrice des projets artistiques et internationaux et qui était avec moi à Avignon. Elle se promenait un soir dans le théâtre vide avec Stefan Kaegi qui était confiné à Lausanne. Il était en train de créer Société en chantier pour le Programme Commun en mars. Ils en profitent pour faire une visite. Les décors des spectacles en cours quand le théâtre s’est arrêté sont là, il y a 50 ans d’histoire, des affiches passées. C’est plein de fantômes. Il y a le souvenir des spectateurs qui sont absents, le bruit des répétitions… Ils sortent de leur balade nocturne en se disant : « il faut faire parler ces fantômes ». Et c’est bien cela qui se passe, mais bien plus encore. Il s’agit aussi de rallumer les lumières d’un théâtre éteint. D’ailleurs, et l’émotion est dingue, c’est par l’atelier électrique que l’on commence notre visite guidée. Et, chose folle, nous devons nous promener et toucher, nous promener partout au grès des anecdotes qui arrivent dans le casque, portées par ceux qui étaient là.

L’inconscient du théâtre

De pièces en pièces, derrière chaque porte poussée un monde s’ouvre, labyrinthique. Comment soupçonner qu’une armoire puisse être un passage ? Qu’un escalier nous transforme en souffleur ? Que là derrière il y a l’atelier des décors ? Tout partout, y compris le lieu de la pause clope, il s’agit de passer par les gestes qui permettent au théâtre d’arriver vivant sur scène. Au niveau de la passerelle lumière Salle Charles Apothélioz, le psychanalyste François Ansermet dit en découvrant cette salle des machines qu’il voit là un parallèle avec l’inconscient, à la différence qu’il est dans ce lieu totalement accessible. Avec sa Boîte Noire, sous-titrée “Théâtre fantôme pour 1 personne”, Stefan Kaegi nous donne accès à l’envers du décor et nous rend voyeur de l’interdit, des trucs et des astuces qui font la magie. Alors c’est comme ça que l’on fait flotter de la fumée sur un plateau ? C’est comme ça que l’on découpe la lumière ? 

C’était beau hein ?

C’est la question qu’à un moment, à nous, mais à nous seul, est posée. Et il ne faut pas laisser une question sans réponse. C’est au-delà de beau. C’est peut être la plus belle déclaration d’amour au spectacle vivant jamais faite. Ce n’est pas juste une collecte de souvenir, c’est un manifeste pour la compréhension de tout l’éco-système du théâtre. Et il est fou de réaliser tout ce qu’il faut pour faire illusion. Il n’a fallu qu’un mois à Stefan Kaegi pour écrire le texte. Bonheur dans le malheur, tout le monde étant mis à l’arrêt, il était alors facile de récolter des témoignages, des moments de jeu. On reconnait des extraits de Je suis un pays de Vincent Macaigne ou de Sopro de Tiago Rodrigues, la voix de Laetitia Dosch qui répète sur scène et qui chante. Les artistes, nous les connaissons, nous les rencontrons, ce qui est très émouvant c’est d’accéder aux voix des techniciens, des costumières, des agents d’entretien…

A bientôt ?

Vous aurez compris que ne pouvions pas vous raconter ce qui est dit, ce serait trop en dévoiler. Et surtout, ce serait trop personnel. La pièce, car ça en est finalement une et bien une, avec comédiens et saluts, se donne jusqu’au 12 juillet et la liste d’attente est ouverte. Boîte Noire a été pensé centimètre par centimètre et à la seconde près, pour la salle de ce théâtre mais n’est pas un spectacle sur Vidy, c’est un spectacle “simplement” sur le spectacle. De là à penser qu’il pourrait s’adapter à d’autres lieux, tourner… c’est un rêve. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que le Théâtre Vidy-Lausanne reste ouvert pendant les travaux et que la programmation, superbe est à découvrir ici.

(Et en attendant, si la nostalgie est trop forte, vous pouvez acheter l’un des 387 sièges de la salle Charles Apothéloz. Ils sont vendus au tarif de CHF 30.- l’unité. La vente des sièges de la salle Charles Apothéloz participera au financement des travaux de rénovation et d’agrandissement du Théâtre Vidy-Lausanne)

Visuel :©Philippe Weissbrodt

 

Suzuya et son âme poétique : “Je ne m’y connaissais pas beaucoup en musique” (Interview)
Le trompettiste Ibrahim Maalouf, déjà jugé pour agression sexuelle sur mineure, a été relaxé en appel.
Avatar photo
Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration