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Stefan Kaegi : “J’ai la possibilité de mettre les spectateurs dans les différentes peaux des personnes qui pensent et font un chantier”

Stefan Kaegi : “J’ai la possibilité de mettre les spectateurs dans les différentes peaux des personnes qui pensent et font un chantier”

16 September 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Stefan Kaegi et le Rimini Protokoll proposent, depuis le début des années 2000, un théâtre entre performance et immersion. La première mondiale de Société en chantier ouvrira, le 25 septembre, la saison de la Comédie de Clermont-Ferrand. Rencontre.

Je me demandais si votre fascination pour les chantiers était née de Boîte noire, le spectacle que vous avez écrit, pensé pour le Théâtre de Vidy ? 

Non, Boîte noire est venu beaucoup plus tard. La grande complexité des chantiers m’intéresse toujours. Plusieurs couches différentes de métiers y collaborent. Et, au même moment, surgit cette problématique : quand on construit quelque chose, ça reste, c’est quelque chose pour le bien commun, si tout va bien !

Mais, il me semble que beaucoup d’intérêts particuliers se combattent sur ces chantiers ; notamment quand ils sont publics et c’est là que vont naître des conflits. J’habite à Berlin et le chantier de l’aéroport a coûté bien plus cher que prévu, comme chez vous, à Paris, pour la Philharmonie. Beaucoup de projets publics sont apparemment des sujets de malentendus et où la démocratie participative semble ne pas être efficace. Cela a commencé à m’intéresser. 

Oui, donc vous voyez le chantier comme une question politique. À Paris, on a, actuellement, le cas du chantier du Théâtre de la Ville qui aurait dû rouvrir en 2018, et qui n’a toujours pas rouvert. La présence d’un chantier place du Châtelet depuis 5 ans ne fait pas débat. Comment ce qui se voit et ce qui est massif devient-il invisible ?

Parce que c’est trop complexe. Il est facile de débattre de sujets de société, tout le monde peut avoir une opinion. C’est une apparence, les sujets méritent que l’on plonge la tête dedans. Parce que cela ne se résume pas à désigner un coupable : “Là, il y a une tête, voilà on l’a coupée”. Et il ne s’agit pas de dire que toutes les entreprises sont pires que la main publique, c’est un peu plus complexe. Alors, c’est un peu comme le changement climatique, on aimerait bien rejeter toute la faute seulement sur Trump (rire), mais cela ne marche pas comme ça !

Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir mettre le public dans une situation où il s’informe. Je propose un format documentaire, sur un temps assez long.

La pièce dure deux heures ; normalement, quand on s’informe, cela se fait rapidement. On a l’habitude de très vite passer par les gros titres dans le journal et peut-être lire les premières lignes des articles ; on voit des flashs qui réduisent un sujet complexe à trois minutes. Là, j’ai deux heures. J’ai la possibilité de mettre les spectateurs dans les différentes peaux des personnes qui pensent et font un chantier.

J’avais en référence Boîte noire, j’ai bien compris que Chantier venait d’avant ; mais là les spectateurs vont rencontrer des humains. Comment s’est passé le casting ? Vous travaillez uniquement avec des amateurs ou ce sont des comédiens qui jouent ?

C’est un mélange entre des experts et des comédiens. Par exemple, on a une personne qui a travaillé pendant sept ans en Suisse francophone sans parler français, parce qu’il était colombien et sur le chantier, il se débrouillait avec l’espagnol et le portugais. Il semble que toute cette partie est « tercérisée » à des gens qui viennent d’autres pays. Il a beaucoup travaillé illégalement, il est présent en permanence sur le Chantier

Mais, on a aussi un urbaniste qui a développé beaucoup de quartiers à Mumbai, depuis Genève. Et il raconte cela.

Du côté des comédiens, leur rôle est de remplacer des professionnels avec lesquels ils ont travaillé pendant le processus qui mène jusqu’à ce point. En tout, on a huit personnes qui représentent différentes opinions et qui se contredisent.

Contrairement à Boîte noire où on est quand même la plupart du temps tout seuls, là, c’est une mise en scène où la synchronisation du temps nous fait vivre quelque chose qui commence et, ensemble, on commence à comprendre un tout depuis une perspective. Les spectateurs aussi deviennent acteurs de l’expérience, ils en font partie.

Donc si je comprends bien, c’est une déambulation?     

Oui, et même, à certains endroits, on monte sur un échafaudage pour écouter quelqu’un qui a travaillé pour Trump International, et qui a beaucoup essayé de mettre en lumière les questions derrière les financements des chantiers.

Ailleurs, on grimpe sur une sorte de plateforme pour regarder 300 personnes qui bougent dans le chantier et là, la société Globalis explique comment on organise l’être-ensemble de personnes très différentes. On se met même dans la peau d’un travailleur migrant chinois pour un temps, en se mettant par terre, en imaginant un monde en Chine.

Et, tout ce qu’on fait, au même moment, commence à avoir du sens pour les autres dans l’espace. C’est ça un peu la magie !

J’ai repris la logique des plannings de travaux, où l’on voit ce qui se passe et quand, pour les semaines suivantes. J’ai reproduit cette logistique dans une certaine forme. C’est une construction dans le temps. 

Mais alors si je ne me trompe pas, le Théâtre de Clermont est vraiment encore en chantier? 

Il ne l’est plus. Oui, c’est un peu spécial (rires). Le chantier est fini et le théâtre va être rouvert justement avec ce spectacle. Donc, on va le remettre en chantier ! Mais là, c’est la représentation d’un chantier ! (rires)

Ma dernière question est évidemment liée à l’épidémie, qu’est-ce que la Covid a changé sur la construction de ce spectacle ?

C’est un spectacle où l’on se déplace. Alors on est libre la plupart du temps de décider soi-même où l’on veut se trouver sur le chantier, ce qui permet de maintenir la distance aux autres, et il y a suffisamment de place pour le faire. Et sur un vrai chantier, la quantité de gens serait de toute façon limitée aussi.

On a dû réduire un peu la jauge, il y aura donc moins de spectateurs qui pourront normalement visiter l’endroit.

Après, on va donner des gants aux spectateurs parce qu’ils doivent toucher certaines choses, ainsi que des charlottes à mettre sur leur tête pour se protéger quand ils mettent un casque. Alors, oui, il y a un peu de changement, mais comme ils sont équipés de toute façon pour le chantier,  ça ne gêne pas trop la mise en place. 

Stefan Kaegi / Rimini Protokoll
Société en chantier
du 25 septembre au 1er octobre (relâche le 27)- Comédie de Clermont-Ferrand

Informations et réservations ici.

Visuel ©Mathilda Olmi

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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