Théâtre
“Tom na fazenda”, une adaptation brésilienne inouïe de “Tom à la ferme” !

“Tom na fazenda”, une adaptation brésilienne inouïe de “Tom à la ferme” !

21 July 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

A la suite de près de 200 représentations, la pièce brésilienne primée dans maints festivals et présentée au Festival d’Avignon en 2022, Tom na fazenda (Tom à la ferme), arrive dans la capitale française. Un spectacle inouï qui dresse le portrait d’une réalité sociale destructrice. A découvrir au Théâtre Paris-Villette jusqu’au 1er avril. 

Une adaptation de Michel Marc Bouchard

Le metteur en scène brésilien Rodrigo Portella s’empare du texte poignant de Michel Marc Bouchard et propose un spectacle d’une grande noirceur. La traduction en portugais d’Armando Babaioff  est portée par des comédiens qui en font ressortir toute sa puissance. Une adaptation à couper le souffle qui nous emmène dans les bas-fonds de la condition humaine. 

Tom na fazenda prend place dans une ferme au milieu d’une campagne des plus rurales et abandonnées. A la suite de la mort de son compagnon, Tom se rend dans la famille du défunt. Il y rencontre une belle-mère qui ne sait rien de son existence et qui ignore jusqu’à l’homosexualité de son propre fils. Pris dans les mailles d’un filet de mensonges et de violence qui se resserre de plus en plus, Tom sombre dans les mains du frère du défunt. S’enclenche alors la mise en marche d’un mécanisme destructeur impossible à désamorcer. 

Pris dans un étau cinglant

Arrivé dans une ferme qui ne veut pas de lui, Tom est persécuté par un frère homophobe et violent. Il se retrouve piégé dans un lieu vidé d’humanité, qui rejette toutes formes de différences, tout ce qui n’est pas considéré comme “normal”. Le mensonge y opère avec finesse, dans le seul but de tromper une mère qui ne doit en aucun cas découvrir la vérité sur son fils disparu. La narration jongle avec des sentiments intenses, mettant en exergue le désespoir du deuil, la colère, la rage, la peur mais aussi la haine de l’autre. 

La ferme devient ce lieu dont il semble impossible de s’échapper, un endroit dont la crasse et la saleté s’insèrent dans chaque être vivant. Tom sombre peu à peu dans une folie autodestructrice en décidant de rester dans cette famille. Une relation étrange s’installe alors entre Tom et le frère, mais de quelle nature est-elle ?

Entre sensualité et destruction

Face au frère Francis, Tom semble tiraillé entre fascination et effroi. Ces sentiments le plongent dans une relation toxique avec cet homme qui le ronge et le malmène. Dès leur première rencontre, il subit avec terreur les coups qu’il lui inflige, une violence physique qui explose sur le plateau, en prenant toujours plus d’ampleur. Les scènes de combats d’un réalisme forcené donnent lieu à des moments glaçants.

Une scène rend particulièrement compte de ce balancement entre sensualité et destruction. Sur une musique typique chilienne, Varga Varga de Chico Trujilo, Tom et Francis dansent au milieu de la boue. A leurs pas se mêlent des coups, des bousculades, des étranglements. Débute alors un ballet entre bagarre et danse qu’il devient difficile à interpréter. S’aiment-ils ? Se haïssent-ils ? Jusqu’où iront-ils ?

Ce va-et-vient contradictoire entre les deux personnages nourrit l’ensemble de la pièce et donne toute sa force à la relation qu’ils entretiennent.  

La simplicité de la mise en scène

Rodrigo Portella a opté pour une mise en scène à la simplicité déconcertante qui rend compte de l’hostilité de la ferme. Le plateau est quasiment nu, seuls quelques éléments scéniques s’y trouvent : une immense bâche noire remplie d’argile et des seaux contenant de l’eau et quelques objets. Au fil des scènes, l’argile se transforme en une sorte de boue qui s’infiltre sur le corps des comédiens. Ils sont enduits de cette matière rocheuse et dégoulinent de toutes parts. 

Ce choix de scénographie permet de mettre l’accent sur les personnages et leur relation. L’espace est suggéré par leurs gestes et leurs déplacements. Ce vide accentue la brutalité des dialogues et appuie l’animosité du frère et le déchaînement de l’agressivité. 

Des comédiens hors pair

Les comédiens resplendissent au sein de ce portrait de famille. Armando Babaioff livre un Tom dont la douceur est très vite rattrapée par l’âpreté de l’environnement. Sa raison le quitte, il est gagné par la folie, la colère et la rage. La mère est magnifiquement interprétée par Soraya Ravenle. Son désespoir est porté par ce corps abîmé par le dur labeur. Gustavo Rodrigues fait ressortir la froideur et la violence du frère tout en réussissant à nous faire ressentir de la compassion pour ce personnage. Se joint à eux Camila Nhary dans le rôle de Hellen, cette femme censée se faire passer pour la copine du défunt auprès de la mère. La peur se lit dans ses yeux, elle qui arrive au beau milieu de la catastrophe, dans un monde que l’on préfèrerait ne jamais connaître. 

Le Tom na fazenda que livre Rodrigo Portella est un tableau magistral et sauvage d’une famille torturée. Un spectacle qu’il n’est pas possible d’oublier, une pièce majeure brésilienne qui ne peut être laissée de côté !

Une pièce adaptée de l’œuvre de Michel Marc Bouchard, mise en scène par Rodrigo Portella et traduite par Armando Babaioff. Interprétée par Armando Babaioff, Soraya Ravenle, Gustavo Rodrigues et Camila Nhary. Présentée du 9 mars au 1er avril, au Théâtre Paris-Villette.

Visuel : ©Victor Novaes

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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