Théâtre
Plongée drôle et bien menée dans le dialogue intérieur d’une adolescente : “Moi c’est Talia”

Plongée drôle et bien menée dans le dialogue intérieur d’une adolescente : “Moi c’est Talia”

19 February 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Du 17 février au 5 mars 2023, le Théâtre Paris-Villette programme les premières représentations du nouveau spectacle écrit et mis en scène par Faustine Noguès : Moi c’est Talia. Une pièce de théâtre tout public qui conviendra particulièrement aux adolescents et pré-adolescents, qui explore l’apprivoisement progressif de sa voix intérieure par une jeune femme, qui apprend à réconcilier ses propres instincts et ses interactions avec le monde extérieur. Vive, pleine d’humour et d’intelligence, cette pièce est une belle réussite.

Le point de départ tout à fait futé qu’utilise Faustine Noguès est celui d’une séance de méditation, dont on comprend bien vite que le cadre est celui d’un collège, dont l’une des élèves est justement Talia, l’héroïne de cette histoire qui prend la tournure d’un récit initiatique. Lumières éteintes, la voix d’une femme nous guide dans une première méditation, nous invitant à fermer les yeux et à nous concentrer sur notre respiration. La plupart des membres du public jouent le jeu… et réalisent, en rouvrant les paupières, que la pièce a démarré : les lumières se sont allumées subrepticement, et, sur scène, le personnage de Talia nous fait face, sortant de la même expérience.

Tel est le point de départ qui va permettre de révéler à l’héroïne l’existence de sa voix intérieure, ce monologue constant qui l’habite en toile de fond, et distille tour-à-tour des remarques décalées voire franchement absurdes, ou au contraire des pépites de lucidité qui ne s’encombrent pas de la moindre considération pour les normes sociales ou pour le regard des autres. Evidemment, la confrontation de cette instance intérieure très libre et d’une adolescente en pleine construction provoque quelques étincelles… en même temps qu’elle produit des moments intensément drôles.

Au fil de l’intrigue, les deux personnages qui ne sont qu’une, Talia et sa voix intérieure nommée Taliabis, vont apprendre à cohabiter harmonieusement, l’une comprenant qu’elle peut se faire une alliée de l’autre. D’une ignorance mutuelle, la relation glisse vers le dialogue et finalement la complicité. Chacune des deux personnages est incarnée au plateau par une comédienne différente : de ce fait, le dialogue intérieur et le jeu qui s’instaure progressivement entre les deux entités est rendu immédiatement sensible par cette juxtaposition.

De surcroît, la scénographie fonctionne comme une métaphore de cette disparition graduelle de la barrière intérieure. Plusieurs cadres faits de différentes fenêtres se dressent au début de la représentation derrière Talia, la séparant d’un espace au lointain qui est celui de son moi intérieur, dans lequel Taliabis est d’abord tapie. On n’entend d’abord cette seconde qu’au travers des hauts parleurs, ce qui peut d’abord faire douter de sa présence sur scène, mais, au fur et à mesure que la découverte par Talia de sa vie intérieure progresse, l’espace scénique de son esprit se dévoile, d’abord par transparence, puis par la destruction progressive des matières qui obturent les fenêtres. Les plaques de plexiglas tombent, les panneaux de papier sont déchirés, et les cadres vides finissent même par être repoussés sur les côtés, et Taliabis apparaît de plus en plus clairement. Jolie métaphore de l’exploration de ses ressources psychiques par l’adolescente en plein travail d’individuation !

Il y a une dimension très ludique à toute la mise en scène. Outre le dévoilement progressif de l’espace au lointain, que l’on vient de décrire, la sonorisation du spectacle explore toute une gamme de bruitages, qui sont assurés par la comédienne de Taliabis, à l’aide des micros dont elle se sert pour faire entendre sa voix au travers de la barrière. L’écriture n’est pas en reste. Une scène hilarante montre ce qu’il pourrait arriver si Taliabis prenait finalement le contrôle du corps de Talia et commençait à parler sans filtre en plein cours. Le texte de la pièce est très bien écrit : il alterne judicieusement entre l’humour et des instants plus graves, la langue est vive et rythmée, les répliques fusent et leur justesse fait mouche.

Pour porter l’ensemble, le duo de jeunes comédiennes est assez épatant : leur bonne entente est manifeste, la parole circule avec fluidité et l’énergie dont elles font preuve est communicative. Lia Khizioua Ibañez, qui interprète Talia, est très précise dans son texte, et elle campe très bien une adolescente pas tout à fait à l’aise dans sa place et dans son corps, au point où on se demande si elle ne pousse pas le curseur un peu loin : on aimerait parfois que sa voix tremble un peu plus d’émotion, que son corps ne soit pas toujours aussi noué et embarrassé. A ses côtés, Délia Espinat-Dief, qui interprète Taliabis, est une bombe de bonne humeur et de liberté, un diable imprévisible qui se suspend aux cadres, joue de la musique, lance des sourires à tout va, une force de vie incarnée.

On a beau chercher ce qu’on pourrait trouver à redire, on ne discerne aucune vraie raison d’émettre des réserves sur cette proposition bien écrite et justement interprétée. Peut-être certains matériaux un peu “cheap” malgré l’intelligence de la construction, sans nul doute dûs à un budget de production contraint, et un petit quelque chose qui pourrait encore se gagner dans la fluidité et le rythme, quand le spectacle commencera à se roder. En bref : des détails, qui en plus s’effaceront bien vite.

La feuille de salle indique que ce spectacle peut se voir à partir de 8 ans, et, malgré l’idée que l’on pourrait en avoir qui mènerait à le conseiller plutôt vers 10 ans, de façon à coller plus étroitement aux thématiques qui préoccupent l’héroïne, on doit reconnaître que les membres du public le soir de la première au TPV étaient loin de toustes atteindre cet âge, et que cela ne les a manifestement pas empêché·es d’apprécier leur soirée.

GENERIQUE

écriture et mise en scène Faustine Noguès / avec Délia Espinat-Dief & Lia Khizioua Ibañez / création sonore Colombine Jacquemont / scénographie, costumes, collaboration artistique Alice Girardet / création lumière Zoé Dada
Photo © Calypso Baquey

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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