
Avignon OFF : Philippe Saire met Angels In America en mouvement
Le chorégraphe Philippe Saire s’empare du texte de Tony Kushner Angels in America (Angels in America: A Gay Fantasia on National Themes), chef d’oeuvre écrit en 1991, au pic de l’épidémie de Sida.
Dans le OFF d’Avignon, jungle du théâtre tentaculaire, se nichent des pointures. Philippe Saire donc, que l’on connait plus sur les scènes publiques, mais aussi ailleurs : Elise Chatauret, Le Grand Cerf Bleu, Rebecca Chaillon, Emmanuelle Lafon… Il faut donc garder l’œil ouvert ! Etre au Off, cela demande un engagement autre au plateau puisque rappelons-le, avant et après chaque représentation, les décors sont montés et démontés. Beaucoup font le choix de pièces réduites à une heure et aux structures légères. Saire ne fait pas ce choix, en nous plongeant dans l’intégralité du texte, 2H30, et sans faire l’impasse sur ses jeux d’ombres qu’il aime tant.
Alors Angels In America a été monté beaucoup, et doit être monté beaucoup. Par Brigitte Jaques, Warlikowski (putain de chef d’oeuvre !), Arnaud Desplechin…Et donc maintenant Philippe Saire.
Angels raconte donc comment le Sida a surgi dans les années 80 aux Etats-Unis, arrachant à la vie des gamins de 30 ans.
Résumons : Prior Walter (Pierre-Antoine Dubey) est malade et son mec, Louis Ironson (Adrien Barazzone), juif démocrate, fuit. En parallèle, le maccarthiste Roy Cohn ( Roland Gervet) offre à Joe Pitt ( Baptiste Morisod) un poste à Washington. Jo, qui ne s’assume pas, est marié à Harper (Joelle Fontannaz), qui, elle, a des hallucinations. Mais heureusement, il y a un ange (Valeria Bertolotto) et un infirmier ( Jonathan Axel Gomis) pour rendre la mort plus légere.
Saire sait faire des apparitions dans des lignes tracées par des panneaux noirs. En danse c’est fulgurant car il est un maître de l’illusion, presque un magicien qui ose utiliser la fumée !
Au théâtre, il garde son identité et fait beaucoup bouger les acteurs. Si la structure est présente, les éléments scéniques sont légers, et les lieux qu’il définit par ses géométries sont ceux de cette petite communauté. Saire fait du théâtre comme il fait de la danse, avec des corps. Et à ce jeu, ils se portent, s’enlacent, et s’entrelacent.
Ils avancent dans cette histoire écrite comme un roman de Carver. Ils vont se croiser et le Sida les contraindre tous à repenser leur vie en version courte. Comme le Covid, le Sida ne choisit pas. Comme le Covid en 1991, les plus privilégiés choppent les médocs avant les autres. Mais ce qui est fou quand on entend encore cette pièce écrite il y 30 ans c’est de se dire qu’un vaccin a été trouvé en quelques jours pour le Covid, et que pour le Sida non, comme si baiser était moins naturel que respirer.
Au plateau ils jouent avec envie. Et s’amusent à changer de rôle (Roland Gervet est particulièrement crédible à la fois en avocat véreux et en mère mormone !). Pour la petite histoire, Roy Cohn existait, il était conseiller de Macarthy puis de Trump, homosexuel et homophobe, mort du Sida.
A voir à la Manufacture, départ navette 21H30. Durée 2H30 (petit) trajet compris.
Visuel : ©Philippe Weissbrodt