Avignon OFF : “Mon visage d’insomnie”, un huis-clos angoissant
Samuel Gallet écrit un huis-clos à la tension crescendo qui termine en apothéose ! Mon visage d’insomnie est à découvrir au théâtre 11. durant le Festival d’Avignon 2022.
Un thriller angoissant
Samuel Gallet eut pour seule contrainte d’écrire une pièce pour trois personnages. Après quoi, c’est son imaginaire et ses talents de dramaturge qui ont donné naissance à ce thriller psychologique et politique. Les mots y claquent et respirent le mensonge, les non-dits et la folie. Un texte qui met le doute, fait régner la confusion et monter l’angoisse.
Mon visage d’insomnie raconte l’histoire de trois destins qui se croisent dans un petit village en bord de mer : celui d’Elise, de Harouna et d’André. Tous trois se retrouvent à vivre ensemble dans un centre de vacances transformé en centre d’accueil pour Mineurs Non Accompagnés. Alors qu’une vingtaine de jeunes garçons est partie en classe de neige, Harouna est resté au centre dans le but de réviser et d’attendre son ami Drissa, récemment disparu. Il est sous la responsabilité d’Elise, jeune éducatrice de 25 ans, qui s’apprête à partir rejoindre sa mère atteinte d’un cancer. Embauché pour la remplacer, André fait irruption dans leur quotidien un samedi matin.
Seul le rouge percera le gris
L’espace du huis-clos est simple : la pièce commune du centre d’accueil, donnant sur la cuisine, les chambres et l’extérieur. Une immense baie vitrée la traverse, en vis à vis de la mer et du ciel. Malgré cette fenêtre, l’endroit reste sombre et lugubre, les murs gris reflètent le temps qui alterne entre neige et grisaille. Les fissures dans les murs laissent pénétrer le vent, son souffle ponctue l’ensemble de la pièce, une vibration malaisante.
Tout ce gris est en accord avec la vie des protagonistes. Ils ont vécu des épreuves, vus des horreurs et cela est d’autant plus le cas pour Harouna, émigré africain ayant traversé 6000 km, bravé et côtoyé la mort pour se retrouver dans un village qui ne veut pas de lui. Leur solitude pèse sur les murs de la pièce, leurs peurs les percutent pour revenir décuplées.
Une tension qui ne cesse de monter
Dans Mon visage d’insomnie, on se perd entre paranoïa, réalité et mensonge. Qui dit vrai ? Qui ment ? Qui invente ? Qui ne sait plus discerner la réalité ? On pressent que quelque chose se trame, qu’un élément n’est pas à sa place, mais quel est-il ? Le doute s’immisce, il s’intensifie, on est mal à l’aise, dans un entre-deux.
La folie règne dans ce village, elle est présente, mais où se cache-t-elle ? Chez Harouna qui prétend voir une femme vêtue de noir par sa fenêtre ? Chez André qui dit des choses déconcertantes ? Chez Elise qui ne parle pas de ce qu’elle pense et reste enfermée en elle ? Chez les villageois qui ne sortent jamais de chez eux ? Samuel Gallet joue avec malice de toutes ces questions, il les fait raisonner en nous et elles vibrent à ne plus s’arrêter.
Une critique sociale et politique
Mon visage d’insomnie parle de la peur de l’autre, de l’étranger, de l’inconnu. Les villageois sont terrorisés par ces jeunes hommes qui habitent le centre. La couleur noir leur fait peur, comme un mauvais présage. Ils imaginent des choses, mettent des étiquettes sur ce qu’ils ne connaissent pas. Un racisme qui monte, qui monte, qui monte et que rien ne peut raisonner. Jusqu’où sont-ils prêts à aller ?
Samuel Gallet interroge “la détresse d’une jeune génération migrante, de ces jeunes gens qui ont parcouru des dizaines de milliers de kilomètres et qui se retrouvent seuls au seuil de l’âge adulte dans un désert rural et face à une société qui les infantilise”, qui les voit avec “méfiance et rejet” mais aussi avec “générosité et militantisme”. Il parle plus généralement de ceux qui sont laissés à l’écart et qui ne sont pas regardés.
Mon visage d’insomnie, une pièce écrite par Samuel Gallet et mise en scène par Vincent Garanger, interprétée par Chloé Lastère, Didier Lastère et Djamil Mohamed. Présentée du 7 au 29 juillet, à 18h30, au théâtre 11., salle 2, dans le cadre du festival OFF d’Avignon 2022. Relâches les 12, 19 et 26 juillet.
Visuel : ©Damien Caille-Perret