Avignon OFF : le “Seuil” à passer, quel est-il ?
Seuil déconstruit les mécanismes du harcèlement scolaire et de la virilité pour mettre en lumière certains comportements sociaux et leurs impacts sur de jeunes collégiens. Un spectacle immersif à découvrir pendant le Festival d’Avignon.
Deux versions d’un même spectacle
L’intrigue de Seuil prend place dans un internat de collégiens. Noa, un élève de troisième, y est interrogé par une policière au sujet de la disparition d’un ancien ami à lui, Matteo, ayant laissé en dernier message “Vous m’avez tué”. Débute alors un récit alternant différentes strates temporelles mêlant l’interrogatoire à divers souvenirs de Noa, arrivé depuis peu dans cette nouvelle école. Seuil se présente comme un thriller psychologique qu’il va falloir démêler pour découvrir la vérité.
Il existe deux versions différentes de ce spectacle : une version scénique et une version salle de classe (jouée dans des collèges et des lycées). Durant le Festival d’Avignon, c’est la version salle de classe qui est présentée au public. Elle a recours à une scénographie simple, utilisant des tables comme seul décor. Celles-ci sont détournées de leur fonction première et deviennent ainsi des lits, un self, des toilettes ou encore une forêt. Un procédé qui use de l’imagination des spectateurs – disposés de part et d’autre du plateau – pour exister.
Des comportements violents
Seuil tente de mettre en avant des comportements sociaux qui dominent dans les collèges afin de les remettre en question et de déconstruire tous les stéréotypes de genre. Il traite avec beaucoup de justesse du harcèlement scolaire, du bizutage et de l’établissement d’une pensée patriarcale chez de jeunes hommes en développement. Noa, victime de harcèlement de la 6e à la 4e, se retrouve propulsé dans la chambre 109, avec ses camarades Boris et Atem, deux caïds respectés dans tout le collège. Afin d’en faire pleinement partie, il devra prouver qu’il peut se faire respecter.
Au collège, le seul moyen de ne pas être vu comme une “tapette” est de mettre en avant sa virilité, d’affirmer sa masculinité et de montrer sa force. Noa refusant catégoriquement d’être une victime, décide de nier sa personnalité et de devenir celui qu’il doit être aux yeux des autres. S’enclenche alors les rouages d’une machine qu’il n’arrivera pas à contrôler et qui le pousseront à la violence. Pour être respecté, il faut “changer le souvenir de soi” qu’ont les autres. Pour que ça arrive, il faut prouver aux autres ce qu’on est et ce que l’on vaut. Mais jusqu’où faut-il aller pour se faire sa place ? Jusqu’où est-il possible d’aller ?
Une transformation radicale
Grâce à la superposition des différentes temporalités, on découvre la transformation radicale que subit Noa, poussé par ses camarades à entrer dans des jeux qui n’en sont pas. Alors qu’il était une personne émotive et qui ne cachait pas ses émotions, il devient un garçon qui ne laisse plus rien paraître et qui refuse qu’on le voit en proie à ses sentiments. Il entre dans un jeu d’apparences, mettant de côté ses angoisses, refusant catégoriquement d’être vu comme une “victime”. L’agressivité devient son moyen de défense et la violence sa façon de s’imposer. Pour être accepté, il est prêt à tout.
Deux très bons acteurs
Les deux jeunes comédiens surprennent par leur jeu. Baptiste Dupuy interprète un Noa capable de changer en quelques instants d’émotion. Ses peurs, ses angoisses, sa colère mais aussi ses joies et ses désirs sont transmis avec beaucoup de justesse. Les passages à travers présent et passé se font sans aucune ambiguïté, l’évolution de son personnage se faisant directement ressentir.
De son côté, Camille Soulerin interprète tous les autres personnages : la policière, Boris, Atem, une intervenante en éducation sexuelle ou encore une camarade de Noa. Ce choix de ne pas faire jouer à Baptiste un autre personnage permet une meilleure compréhension de l’histoire et une plus grande immersion. On ne quitte pas ce personnage central, on est avec lui tout du long. Camille réalise une prestation incroyable, changeant sa façon de se tenir, ses gestes, sa voix, pour donner vie à toutes ces personnes.
Une pièce écrite par Marilyn Mattei et mise en scène par Pierre Cuq, interprétée par Baptiste Dupuy et Camille Soulerin. Présentée du 8 au 27 juillet, à 10h, au Train Bleu, dans le cadre du festival OFF d’Avignon 2022. Relâche les 14 et 21 juillet.
Visuel : ©Seuil
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