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Avec sa “Carte noire nommée Désir”, Rébecca Chaillon révèle avec finesse l’ampleur du racisme ordinaire

Avec sa “Carte noire nommée Désir”, Rébecca Chaillon révèle avec finesse l’ampleur du racisme ordinaire

17 January 2022 | PAR Julia Wahl

Le festival Dire accueillait hier le spectacle de Rébecca Chaillon Carte noire nommée Désir. Un spectacle qui, en mettant en évidence les présupposés racistes de la culture “populaire”, lève le voile sur le racisme ordinaire.

Un monde en noir et blanc

L’espace qui accueille le spectateur est blanc : blanc le plateau, blanc le mobilier et, surprise, blanc le corps de Rébecca Chaillon. L’un des enjeux du spectacle, on le devine, sera d’interroger l’omniprésence de cette blancheur et de “noircir” ce bien pâle plateau.

Le dispositif bi-frontal tient une place de choix dans cette expérience : partant du principe que “la non-mixité est un outil indispensable à l’émancipation des minorisé.é.s”, Rébecca Chaillon oppose à un public majoritairement blanc un parterre de femmes noires. Au cours du spectacle, en effet, une parodie de jeu télévisé proposera aux spectateur.rice.s de deviner qui ou quelles idées sont mimées ou imitées devant elle.ux. Force sera de constater que les femmes noires décodent plus facilement les présupposés racistes de notre culture.

Revisiter la culture “populaire” à l’aune de l’intersectionnalité

La culture dont il est question ici est en grande partie la culture populaire ou, pourrait-on dire, tant elle nous imprègne quelle que soit notre origine sociale, la culture “ordinaire”. Une place de choix est ainsi accordée au café, à travers la fameuse publicité pour la marque Carte noire, mais aussi la chanson de Serge Gainsbourg “Couleur café”, qui allie un regard d’homme à celui du blanc.

Car le regard colonial que subissent les femmes noires est un regard concupiscent et masculin. C’est ce que nous rappelle avec humour un passage consacré aux petites annonces, qui oppose avec finesse les fantasmes hétérosexuels des mâles blancs aux recherches des femmes noires. La collusion entre les désirs des unes et des autres crée alors un comique absurde et joyeux.

Un autre aspect de ce travail sur les multiples relégations dont sont victimes les femmes noires est bien entendu la relégation sociale : les équipes du jeu télévisé dont nous parlions plus haut seront, pour l’une l’équipe “Cuisine”, l’autre l’équipe “Ménage”. Les nourrices seront aussi présentes, avec un passage qui croque avec justesse l’hypocrisie des couples blancs s’enorgueillissant de confier leur enfant à une femme noire, avec qui il s’entend si bien.

Une esthétique de l’abondance

Les aspects du racisme ordinaire abordés par ce spectacle sont, on l’aura compris, nombreux. Rébecca Chaillon a pour cela recours à une esthétique de l’abondance qui mêle des univers fort divers. La pièce apparaît ainsi comme une succession de tableaux qui guident le spectateur et la spectatrice dans cette visite sans fard de notre société. L’importance de la musique, la rupture du quatrième mur grâce au jeu télévisé participent d’une énergie qui nous emporte.

Les choix de distribution ont aussi leur part dans cette esthétique de l’abondance et de la diversité : à la pluralité des corps répond celle des disciplines de prédilection des artistes. Estelle Borel, par exemple, est circassienne, tandis que Makeda Monnet est harpiste et chanteuse lyrique. La multiplicité des talents permet à Rébecca Chaillon de nous livrer un spectacle multiple, où les artistes noires se révèlent dans des arts où “on” ne les attend pas.

Prochaines dates

Carte noire nommée Désir sera du 2 au 4 février 2022 à La Comédie de Saint-Étienne, les 21 et 22 février 2022 au  Carreau du Temple à Paris, le 25 février 2022 au Phénix-Scène Nationale de Valenciennes dans le cadre du festival Cabaret de curiosités, le 1er mars 2022 à la Scène nationale d’Orléans, du 9 au 11 mars 2022 aux Subs (Lyon), le 24 mars 2022 à la Maison de la Culture d’Amiens, les 22 et 23 avril 2022 au Tropique Atrium à Fort-de-France. 

Visuel : Vincent Zobler

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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