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Milady Renoir sur les “Lettres aux jeunes poétesses” : “La poésie peut être un langage poétique, mais aussi politique”

Milady Renoir sur les “Lettres aux jeunes poétesses” : “La poésie peut être un langage poétique, mais aussi politique”

18 January 2022 | PAR Julia Wahl

Milady Renoir était invitée au festival Dire pour lire des extraits des Lettres aux jeunes poétesses, animer un atelier d’écriture et une scène ouverte. Elle a bien voulu répondre à nos questions sur le festival et ses activités de poétesse.

Comment avez-vous rejoint le projet ?

C’est Aurélie Olivier [co-organisatrice du festival] qui a été en discussion avec les éditions de l’Arche, précisément Claire Stavaux et  Amandine Bergé, qui sont deux des d’initiatrices d’une collection, « Des écrits pour la parole ». Il y avait cette idée de la boutade, de reprendre les Lettres à un jeune poète de Rilke et de voir comment inciter, inviter, des voix poétiques féminines voire féministes à écrire. Pourquoi moi et d’autres ? Parce que on est lié.e.s de manière soit intime, soit professionnelle au projet : Aurélie Olivier dirige une association qui s’appelle « Littérature etc », qui a un festival depuis dix ans, et on y a toutes été invitées à un moment. Donc c’est une espèce de loyauté au fait qu’elle nous considère comme des voix poétiques.

Ces vingt-et-une lettres sont une espèce de panorama non exhaustif des manières de dire la poésie et de dire des engagements : la poésie peut être un langage poétique, mais aussi politique. Il y a des personnes non blanches qui revendiquent des modèles poétiques et des représentations non blanches ou des personnes avec des statuts non binaires… Toutes les questions sociétales qui émergent à droite à gauche se retrouvent ici dans les questions de poétique : la question de la légitimité de l’écriture, la question de la légitimation par l’écriture et par le regard des autres, les influences infra communautaires, le fait que de lire d’autres poétesses permet de s’autoriser des choses. C’est un moment où on se légitime par la lecture de références.

Les références et les précurseuses, cela peut être un facteur de légitimation mais est-ce que cela ne peut pas non plus être quelque chose d’intimidant ?

Ça l’est toujours. Beaucoup en parlent, et moi aussi, dans nos lettres, à un moment il y a un choc, il y a quelque chose qui se passe, qui est de l’ordre de dire : « C’est possible et donc ça m’est possible ». A un moment, tu te dis : « Moi, j’ai aussi ma voix ».  Il y a évidemment des redondances, il y a évidemment des choses que j’ai dites, que Rebecca [Chaillon] peut dire sur la question de la légitimation, sur la question du rapport aux hommes et au patriarcat en général ou au racisme… Mais ce qui est important, c’est aussi comment on s’écoute les unes les autres et comment ça peut devenir aussi une voix qui est entendue par d’autres. C’était ça le but du recueil. Donc je pense que les références, ça n’incapacite pas longtemps.

Pour revenir à la lecture publique du recueil [durant le festival Dire], lire oralement est une étape différente du simple fait d’écrire : est-ce que c’était la première fois que vous faisiez une lecture d’extraits du recueil ?

Non, il y en a eu beaucoup. On rêve de la date idéale où on sera toutes et tous ensemble sur scène… Je pense qu’il y a bien une quinzaine de lectures pour le moment, parfois par des collectifs militants qui trouvent justement que c’est un point de légitimation. Chaque fois, c’est un panorama différent en fonction de qui est disponible, mais aussi de la région géographique, parce qu’on vient d’endroits différents.

Pour la scène ouverte, comment aviez-vous coordonné cela avec Law ?

On se connaît depuis un certain temps, donc on a une connivence. Après, Law anime de son côté pas mal de scènes ouvertes et moi aussi, donc il y a des astuces qui reviennent. On s’est juste un peu préparées sur quel genre de connivence on voulait mettre en scène et on s’est dit deux-trois choses sur le cadre : on était très claires par exemple sur les textes oppressifs, vu qu’elle et moi, on a eu beaucoup d’exemples dans des scènes ouvertes où des textes hyper oppressifs viennent, ou des postures… Parfois, c’est pas les textes qui disent ce dont on parle, mais c’est des postures, c’est l’allongement du temps de parole… On les identifie en général un peu à l’avance [rire]… C’est un peu bête, un peu binaire, mais c’est vrai que quand c’est les hommes qui vont prendre la parole, et des hommes blancs hétéros, d’un certain âge, je vais toujours avoir une petite vigilance supplémentaire. Avec aussi une manière d’être sur scène, pour dire « Je suis là, tu n’es pas tout seul ». Cette posture-là, ça peut être : « Tu n’es pas tout seul »,  pour accompagner quelqu’un, ou pour être garde-fou.

J’aimerais qu’on aborde la question de l’édition. Comment, d’après toi, peut-on trouver un espace qui permette à tout le monde de s’exprimer, malgré le fait de ne pas avoir accès aux éditions légitimes ?

Je crois qu’il y a beaucoup de collectifs qui s’organisent pour la diffusion et la publication d’auto-édition par exemple. Donc ça dépend un peu de l’enjeu et du désir de la personne. La poésie, c’est une toute petite chose dans la grande mare de la publication. Je crois qu’elle a eu des années d’or dans les années 50-60 et que, du coup, il y avait des têtes d’affiche. Il y avait, il y a toujours des revues où on peut écrire un poème… Il y a beaucoup de revues thématiques qui incluent des poèmes. Après, ce n’est pas forcément fort diffusé.

Si c’est une recherche de diffusion d’une parole, je crois que c’est possible, mais il y a deux niveaux : il y a cette diffusion militante associative qui part de bonnes volontés, de moyens très faibles et, après, il y a toute une espèce de machine de la poésie. Mais si on identifie les gens qui sont publiés dans les grandes maisons d’édition poétique, c’est toujours les mêmes dinosaures blancs. Donc est-ce qu’on a envie de partager ce monde-là ? Je pense que l’Arche a une démarche politique très claire. Il y a d’autres maisons d’édition qui ont des démarches politiques très claires, parce que ce sont des femmes sensibles à ces questions sociétales qui deviennent des cheffes de collection, qui maîtrisent la chaîne du livre et la possibilité de la diffusion et qui ont des outils à disposition pour faire cela.

En tout cas, en atelier d’écriture, je dis que toute publication est possible avec Facebook et Instagram. Mon fils a 13 ans et demi et il a deux copains qui écrivent des textes. Ils s’auto-publient sur Instagram et ils ont des centaines de lecteurs ! Quand est-ce qu’un texte poétique peut avoir vraiment, du premier coup, en une journée une centaine de lecteurs ? Je ne dis pas que c’est des échanges extrêmement formalisés, mais c’est quand même une visibilité.

Après, c’est la question économique qui va se poser : comment rémunérer les auteurs et autrices ? Parce que c’est du temps, donc du travail et, finalement, c’est un luxe aussi d’avoir du temps à consacrer à une activité qui n’est pas rémunératrice…

Oui, ça, ça rejoint la question des legbooks qui sont de petites publications aux éditions Maelström. Ça coûte 3,00€, l’auteur.rice reçoit un euro. Ça n’arrive jamais, dans le monde de l’édition, de recevoir 1/3 du prix ! Donc, comment font les poètes et poétesses pour en général gagner un peu leur vie ? C’est toujours un truc à côté : soit tu es dans un travail rémunéré à côté, soit, comme moi, comme d’autres, on anime des ateliers d’écriture. On est aussi rémunéré.e.s pour les performances et les prestations, parfois bien, parfois pas bien… La poésie, c’est le parent pauvre de la littérature. Je crois que c’est aux institutions de prendre cela en charge.

Du coup, ce serait sous forme de subventions ?

Oui, après c’est toujours la même question : qu’est-ce qu’il y a en échange de ces subventions, est-ce qu’il faut un cahier des charges, est-ce qu’il y a une marge de manœuvre, est-ce qu’on a une parole libre, est-ce qu’il faut répondre à une ligne éditoriale ? Maelström à Bruxelles est une maison un peu hybride, à la fois une maison de poésie avec des résidences, des ateliers d’écriture, des performances et c’est aussi une maison d’édition, une imprimerie. Cette forme-là permet aux artistes d’être dans la même maison à plein d’endroits différents de leurs activités. Je crois que c’est la pluralité des activités qui fait que tu peux recevoir un peu là, un peu là, un peu là… Après, c’est une maison qui est en souffrance économiquement et qui, du coup, doit faire des choix éditoriaux.

Il faut rémunérer les auteurs et les autrices et, en même temps, si on lutte pour des prix plus bas, voire la gratuité, il faut trouver un autre moyen de les rémunérer…

Si je prends des exemples plutôt anglophones, il y a beaucoup de gens qui sont invités dans les universités, dans les écoles. Ça, pour moi, c’est une belle pratique. Je crois qu’il y a une possibilité de propagation, de contamination, là où l’écriture est parfois académisée ou réduite à des productions. Tout ce qui est creative writing workshops, aux États-Unis, comme à Berkeley, c’est beaucoup de poètes qui viennent, qui restent un mois, deux mois, pour vraiment pratiquer avec les étudiants. En France, en Belgique, c’est des événements quand ça arrive. C’est peut-être réfléchir : où est-ce qu’on peut, en tant que poète et poétesse, intervenir, et pas uniquement dans les lieux poétiques ou dans les théâtres ?

Visuel : Emmy Chardonne

 

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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