Aux Abbesses, une Noce russe où le corps explose
Les festivités France-Russie 2010 continuent en cet automne. Après ‘Le Mariage’ de Gogol en septembre, le Théâtre de la Ville nous convie jusqu’au 23 octobre à ‘La Noce’ de Tchekhov, dans une version musicale haute en couleurs.
Tchekhov aurait cette année fêté ses 150 ans. Âgé de 35 ans seulement, le metteur en scène Vladimir Pankov, fondateur de la compagnie SounDrama, s’attaque pour la première fois à l’adaptation de ce monstre sacré de la dramaturgie russe pour répondre à une commande du Festival International Tchekhov 2010. Artiste multiple issu d’une formation en théâtre musical, le jeune metteur en scène s’est retrouvé à diriger les acteurs du Théâtre d’Art Dramatique de Moscou Pouchkine, qu’il a allégrement mêlés aux musiciens de sa propre compagnie.
Le résultat est tout simplement réjouissant. Le spectateur se voit parachuté dès les premières minutes dans un mariage russo-biélorusse – l’emploi des deux langues a son importance dans la dramaturgie – où la vodka aurait déjà coulé à flots. Difficilement saisissable pour quiconque ne connaîtrait la pièce de Tchekhov, l’intrigue est secondaire, perdue dans les effluves d’alcool. Le texte est découpé, « abstraitisé », répété en russe et biélorusse, chanté, transformé en objet de performance esthétique plutôt que fil conducteur littéraire d’une histoire.
Peu importe la narration. Dans cette ‘Noce’, le corps explose littéralement, par tous les moyens. Jeunes et vieux – la mariée n’est plus de prime fraîcheur – lèvent la gambette et poussent la chansonnette. Cette incarnation fait du bien, réconforte, réchauffe, dans un contexte où même la danse cherche souvent à faire passer le corps à la trappe. Liberté, délire, vent de folie, exubérance, flirt, humour sont livrés avec jubilation par les comédiens-danseurs-musiciens, eux-mêmes présents en scène avec un aplomb qui en dit long sur leur plaisir à jouer.
Aucune discipline n’est oubliée dans cette performance totale, qui passe avec une aisance rare de la comédie à la danse contemporaine, en passant par la chanson, la musique live, la danse-théâtre, la performance, le cabaret… Puissantes scènes d’ensemble chantées, chorégraphies contemporaines égrenées sur la scène comme de petits bijoux, une table de banquet qui se transforme soudain en paquebot et autres merveilles visuelles s’enchaînent sans répit, maintenant la pièce à une cadence effrénée qui ne laisse pas toujours le temps d’apprécier les actions simultanées habillant la scène en permanence. Même si la pièce finit par traîner en longueur, et que certains moments d’accalmie ou de sobriété auraient été reposants pour l’œil et l’oreille, on le pardonnera volontiers au metteur en scène, tant ce qu’il nous offre en retour est précieux en ce contexte social et artistique morose et plan-plan : l’énergie positive.
‘La Noce’ d’Anton Tchekhov, mise en scène de Vladimir Pankov – Du 19 au 23 octobre à 20h30, samedi 23 à 15h et 20h30 – Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris 18ème – Réservations : 01 42 74 22 77 – De 15€ à 28€