
« All Bovarys » à l’Etrange Cargo : sympathique duel de rêveuses
Désireuse de parler d’une foule de choses, Clara Le Picard commence par se demander si elle est une Bovary. Avec sa véritable mère à ses côtés, elle signe un spectacle malicieux qui part dans mille directions. Et sait trouver sa cohérence. A défaut de nous emporter totalement. A voir à l’Etrange Cargo 2015, avant qu’il ne soit trop tard.
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Voici Clara. Une metteuse en scène sans moyens, désireuse de monter un spectacle expérimental, esthétique et moderne, qui s’interrogera sur le caractère actuel d’un classique du XIXème siècle. Pas gagné. Intrépide, elle met toutes les chances de son côté. Et vient à nous déguisée en homme (on les écoute plus). Pour nous dire que son idée est extraordinaire. Pas facile quand même… Rien de tel que la présence de sa mère, sur la scène, pour la soutenir. La grande Françoise Lebrun, célèbre pour avoir joué dans La Maman et la Putain (film de Jean Eustache, 1973), puis dans d’innombrables pièces. De quoi donner du crédit à son projet…
Hommes et femmes. Art ultra contemporain et crise financière. Art tout court et vie réelle. Libération des mœurs et affirmation des corps (plus actuelle). Rêves et réalité. Matérialisme et surendettement. Tout cela à brasser, en une heure quinze. Histoire de traverser à la fois Madame Bovary de Gustave Flaubert, et la vie d’une rêveuse assez ordinaire : Clara elle-même. Clara Le Picard, qui nous parle, est réellement la fille de Françoise Lebrun. Et c’est à un échange entre elles deux que l’on va assister. L’une venant fréquemment remettre en cause les rêveries de l’autre… Bientôt, Clara perdra sa barbe…
Sur le plateau, la malice règne. Et on se prend à y croire. Notre Clara mime, grâce à de grandes figurines, le déroulement de son spectacle. Ses collaborateurs ont des noms que les fans de théâtre contemporain reconnaîtront. Françoise Lebrun, elle, lit les extraits de Madame Bovary. Et puis viennent les mises en perspectives. Opposées, forcément… Une évocation insistante de La Maman et la Putain, ou plutôt de son succès, par la mère, contre des tentatives quasi désespérées de sa fille. Réduite à mimer des rêves à l’aide d’un « stroboscope », avec pour but de « danser le rythme de Flaubert »… On aime le naturel, la spontanéité qui émane de cet essai théâtral. Qui lui insuffle de l’énergie.
On regrette juste de ne pas voir s’y déployer une vraie folie. Le déroulé qui nous est fait aboutit à une fin cohérente. Mais tout cela manque un peu de récit, et de théâtralité. Certaines idées sont abandonnées en cours de route. Et le naturel de nos deux interprètes finit par les entraîner dans la conversation pure et simple. Ce qui fait qu’on croit moins à la situation de départ. Qu’on n’accède pas à une véritable émotion, malgré des pauses musicales fortes. Et que le spectacle, dans sa forme finale, semble encore se chercher. Est-ce une question de lieu ? ou de circonstances ?… Enfin, même si on aurait aimé ressentir plus, cette proposition tient son pari. Pas évident.
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Créé en janvier 2015 à Marseille, au Théâtre de la Joliette-Minoterie, All Bovarys est présenté actuellement à Paris, à la Ménagerie de verre (Festival l’Etrange Cargo). Il sera programmé en juillet 2015 au Festival Off d’Avignon, à l’Entrepôt.
All Bovarys, un spectacle de Clara Le Picard. Avec Françoise Lebrun, Clara Le Picard et, au piano, Or Solomon. Collaboration à la dramaturgie : Laurence Perez. Musique : Or Solomon. Costumes : Manon Poey. Régie : Guilhem Jeanjean. Assistanat à la mise en scène : Anne-Sophie Popon. Durée : 1h15.
A la Ménagerie de verre (Festival l’Etrange Cargo) pour une soirée encore, le mercredi 8 avril, à 20h30. Pour réserver, cliquez.
Visuels : © photos A. Mellon