Théâtre
‘A Tort ou à raison’ : Être ou ne pas être un artiste en temps de guerre ?

‘A Tort ou à raison’ : Être ou ne pas être un artiste en temps de guerre ?

23 February 2013 | PAR Melissa Chemam

Y a-t-il un thème plus accrocheur que celui des liens entre art et politique en temps de guerre ? Surtout pour le théâtre ? Ce mois de février, le Théâtre Rive Gauche reprend le thème des premiers procès de dénazification à Berlin, présentant un face à face troublant et passionné entre deux personnages d’une force dramatique percutante dans ‘A Tort ou à raison’.

Nous sommes en février 1946, dans le froid de Berlin. Dès l’ouverture, avec le bruit des bombes en réminiscence, puis la lumière faite brutalement sur une scène sobre, élégante, faite de quelques meubles et livres d’époque incarnant à la perfection ce bureau du commandant dans la zone américaine du Berlin divisé par les alliés, on est plongé dans un moment d’identification. Se présentent d’abord à nous deux personnages, le commandant Steve Arnold donc – brillant et délicieux Francis Lombrail, et son assistante Emmi, interprétée par Jeanne Cremer, fille du résistant allemand, le grand Straube, ayant rejoint les alliés. Ils doivent interroger les membres de l’orchestre de Wilhelm Furtwängler, pour comprendre si ces artistes de renom ont servi malgré eux la propagande nazie ou s’ils ne font que cacher leur appartenance au parti pour sauver leurs destins déjà bien malmenés par l’histoire. Avant la grande confrontation avec Furtwängler lui-même, le jovial et démocrate commandant Arnold cuisine le deuxième violon de l’orchestre, entretien dont il sort convaincu de la culpabilité de Furtwängler. Mais l’enquêteur américain est vite rejoint par un jeune commis, David Wills, Juif originaire de Hambourg ayant survécu au nazisme en fuyant aux Etats-Unis, qui refuse d’admettre qu’un aussi grand artiste puisse avoir trempé son talent pour le régime…
La pièce est du génial Ronald Harwood, dramaturge sud-africain vivant à Londres, né au Cap en Afrique du Sud, auteur entre autres du scénario du Pianiste de Roman Polanski. La mise en scène est de la française Odile Roire, grande comédienne qui s’attaque ici à la direction.
Après l’exposition, s’ensuit un haletant interrogatoire, et une quête d’une vérité si profonde, entre le pouvoir spirituel de l’art auquel le compositeur émérite croit profondément et la valeur de la vie humaine que défend le commandant américain, que toute la salle est tenue en haleine d’un bout à l’autre du spectacle. La catharsis est totale, on en oublie que l’on regarde une fiction et les spectateurs se retrouvent tiraillés entre les deux pôles de la question : ‘un artiste est-il coupable d’exercer son art au sein d’une dictature ?’ Une dictature d’autant plus meurtrière qu’elle fut génocidaire ? Peut-on laisser les ‘corps cramer’, les vies humaines perdre leur valeur parce que l’on défend l’absolu de l’art, sa spiritualité, sa supériorité sur la petitesse humaine, et la séparation totale entre art et politique ?
Jean-Pol Dubois en Wilhelm Furtwängler est à la fois dérangeant et lumineux, tout autant que Francis Lombrail – en américain démocrate ravagé par la vision de l’horreur qu’il a subi en Allemagne – est brillant et virevoltant. Ce dernier parvient même à amener des touches de rires, d’humour, dans un sujet pourtant grave, mais traité ici avec passion et une grande justesse. Odile Roire interprète aussi elle-même le rôle de Tamara, une femme qui a perdu son mari pianiste du fait de la politique raciale nazie mais vient jurer que Furtwängler a tout fait pour le sauver ; elle est un pivot autour duquel les personnages tanguent, partager entre le désir légitime de justice et le besoin de surmonter le passé pour penser la réconciliation et faire survivre cette culture allemande, incarnée dans toute sa force par sa musique de génie – une culture dont le prestige a rendu fous les ténors du parti nazi mais qui se veut, au-delà de toutes les idéologies, une source profonde d’humanité renouvelée.
Du grand théâtre dans sa splendeur, donnant toute leur place aux acteurs, mais aussi à la lumière, à la musique, bien sûr, au gramophone au centre de la scène ouvrant sur Beethoven et se concluant dans un tonitruant final… Une pièce à ne pas se refuser !

Une pièce de Ronald Harwood, traduction française de Dominique Hollier
Avec : Wilhelm Furtwängler – Jean-Pol DUBOIS / Steve Arnold – Francis LOMBRAIL / Helmuth Rode – Thomas COUSSEAU / Tamara Sachs – Odile ROIRE / David Wills – Guillaume BIENVENU et Emmi Straube – Jeanne CREMER

 

Visuel : Photographe / Laurencine LOT

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