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[Bruxelles] Philippe Quesne ouvre le Kunstenfestival avec des taupes qui secouent la Caverne de Platon

[Bruxelles] Philippe Quesne ouvre le Kunstenfestival avec des taupes qui secouent la Caverne de Platon

07 May 2016 | PAR Yaël Hirsch

Le plasticien et metteur en scène français a été invité à créer sont nouveau projet Welcome to Caveland par le prestigieux Kunstenfestival. Celui-ci interroge les affres du sous-sol et se compose d’une scène ouverte à d’autres artistes pour exprimer leur point de vue, ainsi que d’un diptyque de Quesne dont le premier volet la Nuit des Taupes a ouvert le festival dans un éclat de rire étrangement inquiétant au Kaaitheater. Retour sur une ouverture à la fois sombre et décalée de l’édition 2016 du Kunstenfestival.

[rating = 4]


La salle est comble et le placement libre pour le spectacle d’ouverture du Kunstenfestival. La lumière baisse à peine pour signifier le début retardé de la représentation. Alors que « Welcome to Caveland » est proclamé par un insigne planté entre stalagmites, le décor est planté. Il est plutôt gris et blanc, avec quelques instruments qui dépassent, un structure centrale blanche et rectangulaire qui fait comme une boite et une grande ampoule au bruit angoissant qui vient rythmer comme la taule du tonnerre baroque les avancées de l’action. Première foudre et c’est une pioche qui vient immédiatement percer la paroi du rectangle central. Le décor est déjà entrain d’être mis en morceau pour qu’un grand tuyau menaçant puisse « cracher » une « colonies de taupes » à taille humaines, chacun poussant se grosse pierre dans la boîte.

La taupe est un personnage récurant des pièces de  Quesne, comme dans Swamp club, animal « sensible », « artiste », « fragile », « qui a besoin de s’inventer des mondes » (dixit leur créateur). Ici, avec de longs poils et un corps parfois sexué, leur « horde » interroge / aménage à la fois le sous-sol, le train de vie des hommes et – fidèlement à la caverne de Platon- la nature menaçante de nos illusions.

Pendant près de deux heures où pas un mot n’est dit (tout n’est que grognement jusqu’à un peu d’écrit en esthétique transparence, dans les 20 dernières minutes) les taupes font comme nous, mais sans ordre, prise de parole ou recul : aménager l’espace, manger, enfanter, faire de la trottinette, dormir, danser, jouer de la musique (formidable thérémine avec paluches de taupes !)… Visuellement, certaines scènes sont d’une force à couper le souffle et certains geste ont bien la violence d’une performance qui interpelle et ne représente, réglant ainsi la critique platonicienne de l’art comme plagiat de l’idée (ou de la vie). Mais Quesne a eu pour projet d’étirer ses taupes et il n’est pas sur que les longs moments de relâchement aient l’effet escompté de nous laisser nous enfoncer avec angoisse plus profondément dans la came où il nous offre la bienvenue. Au contraire certains décrochent. De la même manière, si la projection « babel » d’un florilège de textes choisis sur la caverne, dans plusieurs langues, est visuellement parfaitement bien amenée, sortir de l’aphasie pour produire du langage écrit rompt un rythme. La langue interrompt une animalité oppressante dans laquelle on s’était engouffré et dans laquelle nous aurions probablement dû nous complaire. Malgré ces deux réserves, l’univers plastique extrêmement original de Philippe Quesne force le respect et le public a joué le jeu, riant souvent aussi fort que jaune aux péripéties de taupes suractives qui nous ressemblent. Quant aux acteurs et aux musiciens ils ont été, à juste titre, ovationnés par un public qu’ils ont fait parfois revenir à l’enfance.

Après cette première partie de soirée « en intérieur », la suite de l’ouverture a surfé sur la vague de douceur de ce printemps bruxellois, avec autour de la chapelle des Brigittines, une proposition ouverte à tous de Léa Drouet pour une performance inaugurale de skate et de feu. Et puis, devant le théâtre des Brigittines, autour de la structure en bois imaginée par Philippe Quesne pour le lieu, une grande fête, également ouverte à tous, avec bière et frites à 2.5 euros, DJ set en hauteur et plein air inspiré, permettait de célébrer comme il se doit l’ouverture d’une festival de création d’envergure internationale.Dans une ambiance à la fois arty, ouverte, internationale et décontractée, acteurs, chorégraphes, journalistes, musiciens, galeristes, étudiants mais aussi tout simplement passants.

La nuit a été belle et longue, et le festival qui dure jusqu’au 28 mai 2016 verra d’autres fêtes animer Bruxelles les 7, 2, 21, 27 et 28 mai, avec également très attendus et à l’affiche, des pièces d’avant-garde signées entre autres par Richard Maxwell, Alessandro Sciarroni, Toshiki Okada ou Apichatpong Weserethakrul.

photo : (c) Martin Argyloglo

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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