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Performances queers et sexualités rebelles à la norme: “What The Fuck? Fest***” au Cirque Electrique

Performances queers et sexualités rebelles à la norme: “What The Fuck? Fest***” au Cirque Electrique

12 July 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Pour la troisième année, le Cirque Electrique a accueilli le What The Fuck Fest***, centré autour des sexualités dissidentes et des thématiques queers. Des stands militants, beaucoup de performances et de films, quelques concerts, et un grand vent libertaire qui souffle sur la terrasse écrasée de soleil. Bien pensée, la programmation dérange suffisamment pour faire réfléchir, tout en laissant sa place au simple plaisir de spectateur.

What The Fuck Fest***: pour qui a déjà pratiqué (l’an passé par exemple), c’est devenu un rendez-vous incontournable, à la fois informé et festif, sur l’actualité des sexualités et des identités non binaires. Accueilli par le Cirque Electrique depuis 2016, il réussit à instaurer une atmosphère bienveillante où tou.te.s les personnes sensibles à ces thématiques peuvent se retrouver pour librement échanger, dans une ambiance festive qui n’exclut pas les débats de fond.

Côté fond, les stands militants présents autour de la terrasse du Nouveau Tigre proposent t-shirts et tote bags, mais, surtout, de nombreux livres abordant les thématiques réunies par le festival, prises sous un angle tantôt académique ou tantôt artistique. Fanzines et recueils de poésie auto-édités abondent. C’est une petite jungle dans laquelle il fait bon se perde: la forme très DIY rappelle toute la longue tradition des fanzines féministes  et de la contre-culture (Rrrriot Girls, etc.). Les films projetés sous le big top invitent également tous à la réflexion: certains ont une ambition clairement bornée au documentaire (ce qui n’exclut pas une recherche esthétique), tandis que d’autres constituent des incursions sur des terrains plus radicalement artistiques (en détournant souvent les codes du porn cis hétéro). En tous cas, les conversations vont bon train, tout le week-end, signe que les organisatrices, floZif & Marianne Chargois, ont réussi leur pari d’ouvrir un espace de rencontres et de confrontation des points de vue.

Côté festif, outre les films déjà cités, divers concerts et performances émaillaient le week-end. Les DJ sets rythmaient les fins de soirée, quand les festivaliers pouvaient respirer un air qui enfin ne soit plus brûlant, un verre à la main. Un concert venait en complément chaque jour: Zelda Weinen le vendredi, AVALE le samedi. Ce dernier concert, duo basse – batterie, envoyait un beat d’enfer, sur fond de VJ-ing. Les performances étaient plus ou moins réussies – avec tout l’arbitraire que suppose la détermination de l’endroit où une performance peut être considérée comme réussie. Certaines d’entre elles, clairement, n’avaient pas vraiment de rapport avec le thème du festival, et laissaient un peu interdit. D’autres, à l’inverse clairement dans le thème, étaient peut-être trop directes ou en tous cas complètement élaborées: même quand le propos est clair, il faut tout de même proposer une histoire ou une esthétique pour qu’il y ait performance. Néanmoins, la majeure partie du temps, les performeur.se.s arrivaient à réunir esthétique et sens, et leurs passages sur le plancher du big top constituaient de beaux moments de bonheur partagé.

Mention toute particulière doit être faite du très bon Le Corps du Roi de Matthieu Hocquemiller, magnifiquement interprété par Mathieu Jedrazak & Mimi Aum Neko. Le propos du spectacle part de la théorie française des deux corps du Roi, corps politique et corps physique, tandis que sa forme part de Le Ballet comique de la Reine, oeuvre lyrique fondatrice jouée à la Cour au 16ème siècle, décrivant la guerre des Dieux contre Circé. A partir des représentations et des normes à l’oeuvre dans ces deux témoignages du passé, Matthieu Hocquemiller fait un détour par la biographie de ses interprètes – Mimi notamment, réfugiée politique thaïlandaise, trans, travailleuse du sexe – et par la pop culture – avec un magnifique karaoké de La Reine des Neiges de Disney, vous voilà prévenu.e.s – pour mieux interroger les mécanismes sociaux, culturels, politiques, qui entendent normer les corps. En se réappropriant les symboles du pouvoir, une voie est proposée pour re-politiser la conscience des corps, et re-penser leur positionnement face aux forces qui ont pour but de les enfermer dans des schémas imposés. Une invitation à la résistance, et au pas de côté salvateur.

Au final, une troisième édition toujours placée sous le double patronage de la diversité et du beau temps. Une zone de liberté stimulante, où les corps les plus divers se côtoient sans fausse pudeur dans l’espace protecteur du Cirque Electrique. Evidemment, on pourra toujours faire la liste des absents: peu de personnes racisé.e.s, peu de personnes en situation de handicap, etc. Mais ce qui importe c’est que le festival soit ouvert à tou.te.s, et potentiellement largement inclusif. Et c’est bel et bien le sentiment que l’on a, en sirotant sa bière sous la pulsation des beats de DJ Pussylicious. Pari réussi, donc.

Photos: (c) Flavie Rauscher et Mélanie Pottier

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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