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Au “Cabaret Electrique”, le Tigre de la Porte des Lilas s’est assagi

Au “Cabaret Electrique”, le Tigre de la Porte des Lilas s’est assagi

23 February 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Comme tous les ans à la même époque, le Cirque Electrique installe son Cabaret Décadent à la Porte des Lilas. La formule est rodée – l’esprit queer, rebelle et rock’n’roll est revendiqué, sur fond de revue circassienne où des artistes diversement déshabillés rivalisent d’adresse sur une pléthore d’agrès. Cependant, renouvellement d’équipe ou essoufflement, on est moins renversé que d’habitude : c’est bien calé et bien exécuté, sur fond de très bonne musique, et il est certain que c’est distrayant… mais pas électrisant !

Cette année, sous le big top de la Porte des Lilas, la Revue en est au numéro 69. La 68 sentait le sexe, et sentait le souffre, et mettait tout le monde KO. On peut dire qu’on l’attendait avec impatience, cet opus 2019 du Cabaret Décadent, ce show un peu dingo où on dîne en bord de piste devant d’étranges créatures qui enchaînent les numéros les plus adroits pour notre trouble et notre plaisir – n’est-ce pas d’ailleurs la même chose ?

Et, en effet, côté habileté d’exécution, le plateau artistique est assez bluffant. De nombreux artistes faisaient leur première apparition sur la piste du Cirque, cette année, même si une partie des visages familiers se sont maintenus. Pierre Pleven en impose toujours autant en « danseur queer », particulièrement grimé comme il l’est en entrant sur scène, mais il a surtout consolidé ses compétences en pole dance. Antoine Redon a lui aussi manifestement progressé à la roue Cyr. Marie Le Corre donne un numéro de fil bien maîtrisé, sa présence s’est étoffée. Parmi les arrivants, on saluera particulièrement la prestation d’Amélie Kourim au trapèze, ballant comme fixe, avec, dans ce dernier cas, un passage de toute beauté. Globalement, chacun.e assure à son poste.

Côté ambiance, une très grande partie de la B.O. a été renouvelée, avec un lot de nouvelles compos jouées en live et avec un entrain communicatif par le groupe perché sur sa plateforme au-dessus du bar. Peut-être Hervé Vallée s’est-il un peu assagi : un peu moins punk, il varie davantage les ambiances sonores, donnant des couleurs plus contrastées à l’accompagnement des numéros. Cela nous semble une excellente chose. Otomo de Manuel, en Monsieur Loyal macho-queer, parle beaucoup moins anglais, chante occasionnellement, tient efficacement la tension, bref, fait plutôt très bien son job.

De surcroît, l’invité de la semaine peut amener une vraie plus-value au spectacle. La première semaine, le public a eu l’immense plaisir d’être régalé par l’artiste performer Quentin Dée. Doté d’une présence magnétique toute en velours noir, ce personnage immense arbore un corps androgyne admirablement sculpté et décoré de très beaux tatouages. Sa maîtrise du pole danse est étonnante, avec une approche qui mélange de façon très troublante une force tranquille et une grande douceur, qui n’exclut pas la sensualité. A lui seul, il aurait presque volé la vedette au reste de la distribution le soir de la première. En revanche, l’invité de deuxième semaine, Marcopunk, malgré un look très travaillé, n’offre pas grand-chose d’autre qu’un numéro de fakir qui joue sur la corde gore. Oubliable.

Mais pourtant. Il manque le sentiment de danger, l’aura transgressive, l’uppercut au menton. On n’a pas, cette année, comme à l’habitude, le fourmillement étrange, le trouble délicieux, l’impression de l’extraordinaire.

Peut-être qu’on a beaucoup vu les ingrédients de cette recette. Sous le chapiteau du Cirque Electrique, et ailleurs désormais. Ce qui était nouveau et (d)étonnant il y a quelques années est devenu plus usuel. On a déjà vu la scénographie qui n’a pas bougé.

Et puis, les nouveaux arrivants, excellents techniciens qu’ils sont, n’ont pas la présence intense de ceux qui leur ont cédé leur place. On perd en sensualité provocante, en liberté affirmée, en urgence. Constance Bugnon amène autre chose, une énergie punk un peu folle. Mais pour le reste, la tonalité habituelle manque un peu. Et on parle là de la moitié des numéros ! Sans compter une erreur de casting en la personne de François Borie, qui est un excellent jongleur, vraiment bluffant aux massues, mais dont le personnage de macho méditerranéen cis-hétéro à sourire Colgate est complètement à rebours de la direction revendiquée.

En résumé : c’est beau, et il y a parfois une gerbe d’étincelles, mais c’est globalement un peu tranquille. Et il ne suffit pas de se costumer en nonne ou de montrer un bout de peau pour atteindre la température critique à partir de laquelle tout s’emballe. Et puis, il y a un petit quelque chose de pas si inclusif, et une façon un peu trop réfléchie de mettre un semblant de bordel…

Qu’on ne s’y trompe pas : on peut encore passer une excellente soirée au Cirque. La maîtrise technique, la musique, l’ambiance chaleureuse et un peu anar, tout y contribue.

Mais le feu sacré, celui qui donne envie de mordre dans les chairs vives de l’existence comme si le soleil ne devait pas se lever le lendemain, ce feu là qui est autant dans la poitrine qu’il est sous la ceinture, s’en est allé faire un petit tour dehors. On espère qu’il reviendra vite !

Amélie Kourim : marche au plafond & trapèze | François Borie : jonglage
Constance Bugnon : danse & mât chinois | Antoine Redon : feu & roue cyr
Marie Le Corre : équilibre sur bouteilles & fil de fer | Pierre Pleven : pole dance & effeuillage
Guillaume Leclercq : fakir & pierrot lunaire | Otomo De Manuel : maître de cérémonie
Musiciens : Jean-Baptiste Very, Hervé Vallée, Maria Fernanda Ruette, Adrian Gandour…

Invités surprise : Quentin Dée du 13 au 16 février / Marcopunk du 20 au 23 février

Visuels: (c) Hervé Photograff

Infos pratiques

La Scène Watteau
Musée d’Orsay
cirque electrique

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