Ma présence suffit à enchanter le monde d’Ina Mihalache : une délocalisation narcissique du virtuel au réel qui tombe à plat.
Ina Mihalache s’est fait connaître en 2011 avec sa chaîne Youtube Solange te parle, dans laquelle elle faisait d’elle-même son propre sujet, se livrant face caméra de sa petite voix enfantine au phrasé atypique. Après un long métrage réalisé en 2016, Solange et les vivants, elle entre au Fresnoy/Studio national des arts contemporains. Ma présence suffit à enchanter le monde est son travail de fin d’étude, présenté pour la première fois à l’occasion du Cabaret de curiosités, au Phénix, scène nationale de Valenciennes.
Dans cette performance, elle souhaite « délocaliser son espace de représentation sur un plateau de théâtre pour délocaliser son narcissisme », en transposant l’espace intime de la confidence virtuelle au réel éphémère du plateau.
Coupée de nous vocalement, mais reliée à notre ouïe par des casques que nous sommes invités à mettre sur nos oreilles, nichée dans une boîte en plexiglas – sorte de vivarium pour humain – entourée de plantes vertes, d’ordinateurs, d’un tabouret et autres accessoires, elle s’expose à nos regards dans un univers plutôt léché. Nous l’entourons, dans un dispositif bi-frontal. La mise en boîte immersive de l’artiste semble prometteuse.
Mais la forme n’épouse malheureusement pas l’idée et la belle image de départ reste à l’état d’image et ne se déploie pas. Ina Mihalache, qui dit vouloir “éprouver l’espace sacré de la représentation” semble vouloir à la fois se dérober et s’exhiber devant nous.
Sur France Culture, dans l’émission Les carnets de la création du 25 février dernier, elle dit, à propos de cette tentative: « je me suis mise en boîte sur un plateau et mon premier regret a été de me dire : Je ne pourrai pas sentir le public, qu’est-ce que je suis allée m’enfermer! … Mais en fait, être disponible et indisponible c’est un petit peu la qualité que j’essaie d’explorer depuis le début en pénétrant l’intimité des gens tout en étant complètement virtuelle. »
Les carnets de la création du 25 février 2019
Cette ambivalence aurait pu être porteuse de matière, de questionnements et de densité, mais rien n’en émerge. Tout ce qu’elle entreprend devient posture, est avorté, rapetissé. Le récit intime peine à nous parvenir : anecdotique, trop tourné vers lui-même, vidé de substance sensible et émotionnelle. Rien ne se dit, ne se raconte, ne vient troubler l’encéphalogramme plat qui s’écoule devant nos yeux. La trajectoire de l’artiste semble inexistante, trop intellectuelle pour prendre chair, et il est difficile d’être happé par sa parole confuse et anecdotique. Chantant un peu, ânonnant et répétant des phrases, chuchotant, s’allongeant au sol, dansant… Elle tourne en rond et échoue à entrer en relation avec nous.
On se demande ce qu’elle a bien voulu dire… Le sait-elle elle-même ? Nous ne savons pas trop bien si l’échec est savamment orchestré ou s’il s’agit réellement d’un raté. Est-ce une posture derrière laquelle elle trouve refuge ? Il est presque gênant d’assister à cette impossibilité, à cette errance hasardeuse. Son narcissisme, qu’elle s’emploie à vouloir déplacer devant nos yeux se révèle être factice, emprunté, surjoué. L’inconsistance prend possession du plateau. Derrière le petit être fragile qui semble s’excuser d’être là on se demande quelle importance (démesurée ?) elles’ accorde à elle-même. Et lorsqu’elle nous dit que c’est pour nous et vers nous qu’elle fait tout cela, tout son corps dit le contraire… A l’image de ses saluts, sur un cube, en hauteur, en pleine lumière et loin de nous…
Solange et les vivants, la bande annonce.
Visuel : © Le Fresnoy