
L’exil en cinq étapes de Victoria Lomasko au Kunstenfestivaldesarts
Au cœur de la pandémie, tous les visas de Victoria Lomasko expirent. Elle est russe, elle est activiste, artiste, opposée au régime. Elle doit fuir. Avec une grande pudeur et de façon clinique, elle dessine à trait fin les contours anguleux de son départ et de son arrivée en Europe. Nous sommes dans le champ du théâtre documentaire.
Le procédé qui amène à l’écoute d’un “vrai” récit dépend toujours de l’artiste qui le porte. Pour elle, c’est le dessin. Elle croque ce qu’elle voit depuis un toujours relatif et particulièrement pendant la covid. Alors, quand il faut partir, elle embarque ce qu’elle peut, des habits, son chat, mais tiens… pas ses feutres. La douleur de l’exil se niche toujours dans le détail, en autre figure de proue du genre, Mohamed El Khatib ne dirait pas le contraire. Pour transmettre sa peine, ses doutes, sa colère, l’artiste choisit de se mettre à distance d’elle-même. Pourtant, elle est sur scène, mais absente. Elle est courbée sur son rétroprojecteur, elle trace à coups de traits épais un personnage qui dort, qui sera augmenté d’une faucille et d’un marteau. Le ton est donné. Elle ajoutera au dessin symbolique des vidéos qui amènent le réel au centre du jeu. Mais, pour assécher toute émotion elle s’arme d’un micro et e lit d’une voix monocorde, sans jamais lever les yeux de sa feuille, son récit de vie. Son histoire résonne avec toutes les histoires de celles et de ceux qui ont quitté leur pays par contrainte. Mais cette histoire là c’est son histoire à elle. C’est elle qui est partie sans se retourner en laissant ses parents et ses ami.e.s derrière elle. La pièce s’appelle Five Steps. Ces cinq étapes sont cinq transparents qu’elle va projeter en direct, pendant qu’elle dessine dessus.
Isolation-fuite-exil-honte-humanité
Ces cinq étapes forment les chapitres de son conte initiatique bien réel. Elle se sert de son médium pour lutter. Elle le fait généralement derrière ses publications. Ses romans graphiques sont connus dans tout le monde démocratique, Other Russias et Forbidden Art par exemple. Au-delà de son trait très particulier et très ancré dans sa culture russe, elle ose s’indigner à sa façon contre les assignations qui la rendent “autre” en permanence. Trop militante pour être russe, trop russe pour être Française ou Belge. Au début de la guerre contre l’Ukraine, qui a été le point de départ de son exil, elle se retrouve confrontée à la haine antirusse, dans un insupportable amalgame. Son procédé de récit, froid et chirurgical, presque métallique, est une arme non pas de guerre, mais de résistance.
Visuel : KFDA23-Victoria Lomasko©Didier Meerschout RHoK