Danse
Amanda Piña convoque les esprits au Kunstenfestivaldesarts

Amanda Piña convoque les esprits au Kunstenfestivaldesarts

03 June 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

EXÓTICA, la nouvelle pièce de la chorégraphe et chercheuse chilienne-mexicaine-autrichienne, oscille entre danse documentaire, réactivation d’archives et vraie cérémonie chamanique. Plaisir coupable, on se laisse envoûter.

Pour cette pièce, le Kunstenfestivaldesarts nous entraîne bien loin de sa safe place. Nous sommes, et c’est la première fois dans l’histoire du festival, sous les ors et les dorures du Théâtre Royal des Galeries. Galeries, corbeille, du parterre au paradis, on est dans l’anti-collectif. Et c’est ce lieu chargé de fantômes qui sert d’écrin parfait à EXÓTICA. Au point même qu’il est légitime de se demander si ce spectacle-cérémonie pourrait fonctionner dans une boîte noire. Pas sûr. En tout cas, ici et maintenant ça marche.

Tout commence par un rituel. À la façon d’une universitaire, Amanda Piña commence à expliquer le procédé de cette pièce dont le but est de redonner une identité à des artistes qui “ont disparu de la mémoire collective”. Pour ce faire, après une courte et efficace séance de spiritisme collective où nous sommes appelés à inviter “nos” esprits, elle opère en trois temps. D’abord la réactivation de la danse de l’artiste convoqué “dans son époque”, puis une danse intégrée au corps d’un danseur “maintenant”, enfin, un témoignage du même danseur ou de la même danseuse pour raconter comment son histoire résonne avec le “disparu” choisi.

A cela s’ajoutent deux temps de “répercussion” où l’on comprend comment ces artistes racisé.e.s , effacé.e.s ont tout même réussit à se glisser dans les écritures pop du reggae dancehall, rappelant en passant les grandes heures de Cecilia Bengolea qui a amené ces écritures ancrées dans le bassin, très sexy, en Europe. La pièce se déroule dans le décor très chargé, complètement tropical d’un Lakmé. Et dans des lumières comme des halos, des allovers violet, vert et rouge, apparaissent les esprits de ces artistes dont les noms avaient été jusque-là effacés. Nyota Inyoka, François (Féral) Benga, Leyla Bederkhan et Clemencia Piña «La Sarabia» retrouvent ainsi la scène.

Le procédé historique est intéressant, il s’inscrit dans une tendance forte dans la danse contemporaine, notamment française depuis les années 2010. Dominique Brun travaille sur la réactivation d’archives et Boris Charmatz a compilé les danses du XXe siècle pour ne citer que les plus emblématiques. Ce défilé d’esprits bien vivants tomberait dans l’écueil d’une monstration aux accents folkloriques si Amanda Piña ne revenait pas au port du réel.

Malheureusement, elle ne le fait pas assez par la danse. Seulement deux fois, qui s’ancrent dans deux autres figures, animales cette fois, qu’elle a déjà convoquées, le jaguar et le serpent. Les autres liens au monde actuel passent par le témoignage. Reste un moment très agréable d’aller-retour entre l’histoire et le présent. Le travail sur les motifs chorégraphiques, très en bras du début du XXe, est pertinent.

Œuvres dansées :

Nyota Inyoka (Paris 1896-Paris 1971) – Vishnu (1921), Théâtre de l’Oasis de Paul Poiret, Paris (film) | Dansé par Venuri Perera. – Parvâti (1929), Salle Gaveau, Paris (film) | Dansé par Amanda Piña. – Shiva (1926), Salle Adyar, Paris (notation) | Dansé par Bared Kabangu Bakambay. – Nagui (1932), Salle Gaveau, Paris (la première partie de la notation est perdue) | Dansé par Venuri Perera. François (Féral) Benga (colonial français Dakar 1906-Paris 1957) Poses de Benga – Série de photos et diverses photos de Waléry de Danse du Sabre et Un coup de Folie (env. 1930), Folies Bergères, Paris. – Photos de J.C. Méhu du Recueil Tam-Tam (publié en 1943), L’Olympia, Paris Photos de Benga en Joséphine Baker et en Satyre de V. Henry (1926), Paris | Dansé par Angela Muñoz et Bared Kabangu Bakambay. – Le Sang d’un poète (1932), interprète pour le film de Jean Cocteau, Paris. – Danse sérère de La Folie du Jour: La Danse des Bananes (1926), Interprète pour Joséphine Baker, Folies Bergère, Paris | Dansée par iSaAc Espinoza Hidrobo. – Danse de groupe Dombolo (danse rituelle) | Dansée par tous·tes. – Le serpent bleu, (Reggaeton) | Un hommage à Vishnu par MC Sarabia & Mc Nyota | Dansé par Bared Kabangu Bakambay. Leyla Bederkhan (Constantinople 1903-Montauban 1986) – Kurdischer Kriegstanz (1924), Wiener Konzerthaus, Vienne | Dansé par Venuri Perera. – Danse égyptienne, (Rhapsodie égyptienne, 1929(?)-Le Caire(?)), du répertoire de Leila imprimé dans le livre Searching for Leila the Kurdish princess of dance par Leylá Safíye. – La résurrection de Leyla Bederkhan, (Reggaetton) | Une invocation dansée par Mc’s Sarabia, Nyota, Feral & Leila. – La Danse du Serpent (1927), Comédie des ChampsÉlysées, Paris | Dansée par iSaAc Espinoza Hidrobo. – Le regard du serpent (Reggaeton) Un hommage à Vishnu, Mc’s Sarabia & Feral | Dansé par tous·tes. Clemencia Piña «La Sarabia» (Mexico 1894-Marseille 1970) – Danza de las castañuelas, (Danse des castagnettes, 1909, description tirée du Wiener Zeitung, 17.07.1909), Palais royal, Saint-Pétersbourg | Dansée par Angela Muñoz. – Danza de la Guacamaya, (Danse des oiseaux tropicaux – un tango ancestral, 1914, description tirée des archives familiales), Théâtre du Châtelet, Paris | Dansé par Isaac Espinoza Hidrobo. – Danza de las ancestras, (Danse des femmes ancêtres 1923, description à partir des archives familiales), Théâtre du Châtelet, Paris | Dansé par tous·tes.

Visuel :  kfda2023 Amanda_Pina_exotica©Patrick_Van_Vlerken_RHoK-14

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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