Performance
Le deuil plissé d’Olivier Saillard aux Archives Nationales

Le deuil plissé d’Olivier Saillard aux Archives Nationales

25 January 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le roi des performances bien coupées réactive une nouvelle fois des vêtements oubliés, mais pas n’importe lesquels. Cette fois il s’agit de la garde robe de Renée, sa maman, morte il y a deux ans. Attention, fragile.

Olivier Saillard sait faire parler les vêtements. L’ancien directeur du Palais Galliera musée de la mode de la ville de Paris, aujourd’hui à la tête de la maison de chaussures Weston, a d’ailleurs redonné à Paris le goût des expos de mode (on se souvient du grandiose Balenciaga, l’oeuvre au noir) et ne cesse depuis 2012 de mettre en mouvement tous types de vestiaires. Il est régulièrement invité du Festival d’Automne où il présentait en décembre Embodying Pasolini, avec Tilda Swinton, l’une de ses muses dans le rôle du top model. Il est surtout celui qui sait garder la trace d’une étoffe qui a disparu.

La performance présentée aux Archives Nationales, plus exactement dans le salon de la Princesse, nous ramène aux grands essayages des grandes maisons, Madame Grès particulièrement. Nous sommes installés, happy few, en rond. Un immense lustre à pampilles ponctue le plafond tout orné et des miroirs aux cadres dorés reflètent la lumière. 

Olivier Saillard nous accueille en nous lisant un texte qui a tout d’un hommage. Il raconte qui était Renée, sa mère, chauffeuse de taxi, “sa liberté”. Il la décrit: beauté “rousse” et nous parle beaucoup de ses habits : ” Renée s’habillait de peu, mais de choix. se fournissait dans les grands magasins en zone industrielle quand les commerces de centre-ville ont baissé un à un leur rideau. Précisément parce que ce sont des vêtements modestes et humbles, une forme d’aristocratie se dégage du soin avec lequel elle les traitait. Aussi l’usure devint une broderie.”

Faire un deuil est personnel. Chacun son rythme, chacun ses obstacles. Un jour une décision est prise. Les vêtements de Renée ne seront ni donnés ni jetés, ils seront recyclés dans une version haute couture.

Saillard casse alors un stéréotype : pour faire des vêtements sublimes, la matière importe peu, le geste prime.

Lui qui a inventé une collection de tee-shirts augmentés de plis et de nœuds a déjà montré cela. La performance se nomme d’ailleurs Moda Povera, les vêtements de Renée

Ce sont 30 tenues qui nous seront présentées, portées par l’iconique Axelle Doué que nous avions adorée dans Models Never Talk. Elle a une allure qui vous laisse bouche bée, des jambes infinies encore plus longues sur 12 centimètres d’un escarpin pointu. Elle assume depuis longtemps, avant que cela ne soit une mode, ses cheveux blancs ici portés en chignon serré qu’Olivier Saillard vient corriger à l’aide d’une petite brosse entre deux essayages.

Ce sont 30 splendeurs qui défilent. Toutes provoquent une double émotion. Il y a d’abord de la tristesse car celle qui les portait n’est plus et il y a ensuite un réflexe de basique de défilé : celui d’être subjugué par le niveau à la fois de beauté et de technique.

Les descriptions des modèles sont des poésies qui chacune nous permet de la rencontrer. Il y a vers la fin de la disparition et de la pudeur : “Robe de sa chambre aux volets clos, devenue blouson du soir et d’intérieur drapé. Impression de fleurs sans parfum”.

Saillard signe une nouvelle fois une performance parfaite, qui permet à “cette assemblée de corps inertes” de vivre encore, et en mieux. Les dos cuillères, les drapés, la jupe transformée en blouse du soir, cet ex manteau lavande transformé en tailleur… Chaque pièce est une oeuvre d’art désirable.

La collection si bien défendue par les déhanchés jusqu’au bout des doigts d’Axelle Doué est un monument pour archives et pour mémoire. Il n’y a plus qu’à espérer qu’Olivier Saillard en fasse une garde-robe à vendre, duplicable pour que nous puissions  toutes sublimer Renée.

Visuel : ©Nicolas Villodre, avec son aimable autorisation. 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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