Opéra
Vittorio Grigolo: “Dans une carrière comme celle-ci, il faut faire des sacrifices. Mais je sens toujours la joie et l’envie de les faire »

Vittorio Grigolo: “Dans une carrière comme celle-ci, il faut faire des sacrifices. Mais je sens toujours la joie et l’envie de les faire »

08 June 2023 | PAR La Rédaction

Il partage la scène avec Pavarotti à 13 ans, fait ses débuts internationaux à Vienne à 19 ans. À 23 ans, il est le plus jeune ténor à participer au Gala d’ouverture de la saison à La Scala de Milan. Depuis, il se produit sur les scènes lyriques les plus importantes du monde et fait aussi de nombreuses incursions dans l’univers de la musique pop. C’est Vittorio Grigolo et il ouvre cette année le cycle « Grands Interprètes » au Teatro Colón de Buenos Aires sous la baguette du chef italien Evelino Pidò à la tête de l’Orchestre Permanent du grand Colisée sud-américain.

Par Marta Huertas de Gebelin

Nous sommes le 26 mai. Vittorio Grigolo vient d’arriver à Buenos Aires, mais il m’accorde tout de même une interview par visioconférence, malgré son jet lag évident qui le fait bâiller de temps en temps. Dans trois jours, il va faire ses débuts au Teatro Colón.

Bonjour Vittorio. Et merci de cette occasion de connaître l’artiste et l’homme que vous êtes.

Bonjour, Marta. C’est vrai ce que vous dites. L’homme et l’artiste vont tous les deux ensemble, sur la scène et dans la vie.

Commençons, si vous le voulez bien, par l’évolution de votre répertoire. Après avoir entamé une carrière de ténor lyrico-léger, vous chantez aujourd’hui les grands rôles de ténor lyrique et vous avez même abordé certains rôles véristes. Quels sont ceux dans lesquels vous vous sentez le plus à l’aise ?

Ma voix a changé et a mûri. Pour cette raison, je fais aujourd’hui moins de Rigoletto et de Lucia di Lammermoor et j’ai abordé de nouveaux rôles. Il y a cinq ans déjà, j’avais fait mes débuts dans Tosca au MET, puis ce fut le tour de Werther, de Carmen et enfin des contes d’Hoffmann que je viens de jouer à La Scala. C’est un bel opéra, mais très difficile ! Je me suis aussi produit à Barcelone dans Il Trovatore et ça a été un grand succès. Prochainement, je vais ajouter Un ballo in maschera à mon répertoire ainsi que Pagliacci (à Hambourg). Et enfin, je viens de finir l’enregistrement d’un album de studio qui va s’appeler « Verissimo ».

Pouvez-vous me parler de cet album ?

Cela fait à peine trois jours que j’ai terminé les enregistrements. J’y avais déjà songé, il y a cinq ou six ans. J’avais établi une liste de quinze ou seize airs véristes, et j’avais commencé à enregistrer. Mais, à 40 ans, je n’étais pas encore prêt et quand je m’en suis rendu compte, j’ai tout arrêté.
Maintenant, à 47 ans, j’ai repris ces airs alors que je me trouve à l’aise dans ce répertoire. L’album contient des airs d’Adriana Lecouvreur, Andrea Chenier, Tosca, Cavalleria Rusticana, et d’autres chefs d’œuvres du vérisme. Il va paraître chez Sony Classical.

Quelle excellente nouvelle ! Après « The romantic hero » votre public attendait impatiemment un autre album studio de Vittorio Grigolo. Mais, revenons aux rôles dont vous parliez. Quel est celui que vous aimez le plus ?

Je dis toujours que c’est celui que je suis en train de chanter. Mais, pour moi, l’un des rôles les plus beaux c’est Cavaradossi. D’ailleurs, depuis mon enfance, il a été mon « dream role ».

Le jeune berger de Tosca a été votre premier rôle.

Et il y avait Pavarotti qui s’intéressait toujours à moi. Je ressens toujours une émotion particulière quand je chante Tosca.

Si on laisse de côté ces débuts hors norme, y a-t-il eu d’autres moments essentiels dans votre carrière ?

Oui, en 2010, quand j’ai chanté dans Manon à Londres aux côtés d’Anna Netrebko. Cela a vraiment fait décoller ma carrière. Après ce grand triomphe, j’ai vu s’ouvrir les portes de tous les grands théâtres. Les cinq ou six années qui ont suivi ont été incroyables ; ce furent des années de croissance. Ma carrière continue à monter et je ne sais pas quand elle va s’arrêter.

En général, ce sont les théâtres qui proposent les rôles aux chanteurs. Y en a-t-il auxquels vous avez dit non ?

On fait une bonne carrière quand on a la possibilité et l’intelligence de savoir dire parfois non. En 2000, Franco Zefirelli m’avait invité à faire La Traviata à Busseto. Mais j’étais trop jeune. Au début j’étais absolument ravi qu’un si grand metteur en scène m’ait choisi pour interpréter Alfredo, mais mon professeur de chant m’a dit : « Si tu veux le faire, étudie la partition et quand tu sauras le rôle, viens que je t’entende ». J’ai commencé à l’étudier et je me suis rendu compte que ça ne marchait pas. Et donc j’ai dit « Non, merci » à Zefirelli ! En 2006, j’ai finalement fait partie de cette même production de Zefirelli à l’Opéra de Rome avec Angela Gheorghiu.

Qui était votre professeur de chant ?

Il s’appelle Danilo Rigosa et il est toujours mon professeur. Je viens de travailler avec lui pour l’album dont je vous ai parlé. Je l’ai connu par une de mes cousines qui chante, elle aussi, mais plutôt de la pop music. Elle avait étudié la technique avec lui. J’avais 16 ans à l’époque et elle lui a dit : « Vous devriez écouter mon cousin ». Depuis, trente ans ont passé. La fidélité, c’est très important.

Passons à un autre sujet. Vous avez parfois accordé des bis. Quelles circonstances vous décident-elles à le faire ?

Les bis font partie d’un concert. Tout le monde attend toujours quelque chose de plus quand le programme est fini.

Pardon. Je voulais dire : qu’est-ce qui vous décide à accorder au public le bis d’un air dans un opéra ?

Cela n’arrive pas souvent de nos jours. Il faut être dans un état de grâce et le public doit être très chaleureux.
Le bis le plus extraordinaire de ma carrière est celui qu’on m’a demandé récemment à Zurich, dans Tosca, alors que j’étais allé remplacer Jonas Kaufmann. Je suis parti de Milan en voiture, et je suis arrivé juste à temps pour monter sur scène. Et, en plus, c’était le jour de mon anniversaire, le 19 février ! Dès que j’ai commencé à chanter, j’ai senti le public très chaleureux. À la fin de « E lucevan le stelle », le public n’arrêtait pas d’applaudir. C’était quelque chose de magique. Alors, j’ai fait le bis. C’était très beau. Ça m’a fait songer à l’opéra au début du XX siècle, lorsque l’on demandait plus souvent des bis aux chanteurs.

Dans quelques jours, vous allez vous produire au Teatro Colón. Auriez-vous préféré y faire vos débuts en chantant un opéra plutôt qu’un concert ?

Un concert, c’est comme une carte de présentation. Donc, pour une première fois, c’est mieux de se produire en concert. Ainsi le public pourra me connaître en tant que personne, et non seulement dans la peau d’un personnage. Dans un concert, il voit plus Vittorio Grigolo que si j’assurais les rôles de Manrico ou de Rodolfo.
C’est la même chose quand on demande pour la première fois à une femme d’aller dîner avec vous. Vous parlez de vous, vous lui expliquez qui vous êtes, ce que vous faites, ce dont vous rêvez, vos aspirations, vos passions. Si cette femme aime ce que vous lui dites, elle voudra sortir encore avec vous.
Je n’ai pas souvent eu la chance de débuter par un concert dans un grand théâtre. Maintenant que j’ai une carrière de presque trente ans, je peux le faire et j’aurais peut-être la possibilité d’y retourner pour chanter un opéra.

Quand on se présente, on ne le fait pas toujours de la même manière. Dans ce cas, comment avez-vous choisi les airs que vous allez chanter dans ce Gala ?

Je commencerai par « La donna è mobile » malgré le fait que je ne chante plus Rigoletto. La tessiture de cet opéra est devenue difficile pour moi et c’est la même chose avec Lucia di Lammermoor. Ma voix a changé et elle correspond mieux au ténor de Tosca, par exemple, ou même du Trovatore. Mais cet air, je peux toujours le chanter.
Je parlais tout à l’heure de carte de présentation. Les personnes qui n’ont pas eu l’occasion de me voir sur scène dans le Duc de Mantoue peuvent maintenant m’écouter chanter son air le plus emblématique. Il en est de même pour L’Elisir d’amore ou La Bohème que je chante moins souvent aujourd’hui, mais qui ont fait partie de ma carrière. Je pense aux personnes qui ne m’ont jamais écouté sur le vif et n’auront peut-être pas la possibilité de m’écouter dans ces rôles. Le gala sera donc comme un panorama de ma carrière.

Nous parlions tout à l’heure de « Verissimo », votre prochain album. Mais, au début de votre carrière, vous avez enregistré un album de pop opéra ainsi que la comédie musicale West Side Story. Avez-vous laissé tout à fait de côté ce genre de musique ?

Je vous offre un scoop : le 30 août, après ma Carmen aux Arènes de Vérone, je serai au Festival de Ravello (ndlr : en Italie) pour rendre hommage à Frank Sinatra. J’y chanterai, avec un big band, vingt chansons de Sinatra (il chantonne « Come fly with me, let’s fly, let’s fly away »). Ce sera à l’occasion des 35 ans de sa mort. Nous en ferons peut-être un album…

Vous avez côtoyé beaucoup d’artistes pop, quelques-uns des plus connus. Certains d’entre eux vous ont-ils marqué ?

Celui qui m’a touché le plus c’est le grand Lucio Dalla, qui a écrit « Caruso ». Nous avons été de vrais amis. C’est une amitié qui ne s’est jamais démentie jusqu’à sa mort. Il m’a donné la force d’aller de l’avant. Nous avons même chanté cette chanson ensemble devant le Président italien de l’époque. J’avais 19 ou 20 ans.
J’ai eu aussi une belle amitié avec Sting. Quand j’ai fait mon album pop, j’ai ajouté une de ses chansons, « Fields of gold » (il chantonne « You’ll remember well, nanananana »). C’est une très belle musique !! J’ai eu la chance de faire un grand concert à New York avec lui et Bruce Springsteen (ndlr : en 2016, au Carnegie Hall). J’adore aussi la musique de Bruce Springsteen.
Il y a eu aussi Quincy Jones. Et surtout mon mentor, qui est toujours à mes côtés, Tony Renis, qui a composé la célèbre chanson « Quando, quando, quando ». C’est lui qui a choisi les vingt chansons que je vais interpréter dans la soirée en hommage à Frank Sinatra.
Je peux oublier quelques-uns de ces grands artistes pop, mais c’est parce que je suis vraiment fatigué ! (il bâille) Ah oui ! J’ai aussi chanté « Show must go on » aux Arènes de Vérone avec Bryan May (ndlr : en 2015). Pour moi, ce fut incroyable, j’avais grandi avec cette musique, je connaissais toutes les chansons de Freddy Mercury. Et là, je chantais à sa place ! Ce fut un grand cadeau pour moi ! En plus, Bryan May m’a dit : « Depuis que Freddy est mort, je n’avais jamais plus senti la même énergie que ce soir avec toi ».

Mais, en ce moment, vous vous consacrez en priorité à l’opéra.

Oui, je me suis recentré sur l’opéra parce que je voulais être reconnu en tant que chanteur lyrique. J’ai beaucoup travaillé pour qu’on me reconnaisse ce statut. Maintenant que c’est fait, je peux me permettre de m’adonner aussi à autre chose.
Il faut aussi une certaine stabilité dans la carrière, que le public me voit toujours au meilleur de ma forme. Je touche du bois, mais je n’ai jamais annulé une performance ! J’ai chanté même malade. Quoiqu’il arrive, je suis toujours monté sur scène. On m’a même dit : « Si tu chantes comme ça quand tu es malade, qu’est-ce que ça peut donner quand tu es en bonne forme !?» De toute façon, on ne peut pas plaire à tout le monde !

J’ai vu sur votre page web que vous avez une ligne de vins. Comment est né votre intérêt pour la production viticole ?

Ces vins s’appellent « Opera viva ». J’ai toujours aimé le vin. Dans la famille, mes parents, mes grands-parents ont toujours fait du vin. Je l’ai appelé « Opera Viva » parce que le vin est toujours vivant, il évolue, il se transforme. Le mot « opera » est pris dans sa double acception en italien: œuvre et musique lyrique. C’est du vin rouge, fait avec un raisin appelé « violone », comme l’instrument de musique. Les vignobles se trouvent à Castiglione in Teverina dans la région du Latium, des terres où l’on produit le vin Montepulciano.
Mais le vin que je produis n’a pas vraiment un but commercial. C’est seulement pour le plaisir de mettre sur le marché des bouteilles d’une grande qualité du genre de vin qui me plaît. Pour un vin, ce n’est pas le nom qui est important. Ce qui compte, c’est qu’on l’aime. Il en est de même pour les chanteurs : le meilleur c’est celui qui vous plaît le plus. D’ailleurs, le vin c’est comme la voix. Si on le travaille bien, si on le fait vieillir dans un bon fût en chêne, il peut changer de couleur, comme la voix quand on mûrit.

Que faites-vous quand vous ne chantez pas ? Vous avez un hobby ?

Je construis des maquettes d’avion et d’hélicoptère qui sont radiocommandées et je les fais voler dans les champs. J’adore la nature, les chevaux et la mer.
J’aime aussi beaucoup les voitures et les motos, mais surtout pour les remettre en état. Je fais un peu le mécanicien.
Quand j’ai le temps, j’aime voler ; j’ai une licence de vol.
Et, quand il pleut, je m’amuse à faire des constructions avec des Lego de Star Wars.

Vous avez une toute petite fille. A-t-elle changé votre vie ?

Elle s’appelle Bianca Maria. Elle a 2 ans et demi. Elle fera 3 ans en août. Oui, elle a beaucoup changé ma vie ! Je ne pensais pas que je pourrais être père, mais, quand je l’ai vue, un amour incroyable m’a saisi pour cette petite fille.
Et puis, il y a l’amour qu’elle me donne, la façon dont elle me regarde, quand j’arrive à la maison elle crie : « Papa ! » (On le sent ému). C’est la chose la plus belle du monde que de s’entendre appeler papa par une petite fille qui t’aime.

Voudriez-vous dire quelque chose d’autre sur votre carrière ?

 Cela me surprend toujours d’être encore là. Je suppose que si je chante toujours c’est que je fais les choses correctement.

Mais vous êtes trop jeune pour dire cela !

Je semble jeune … Mais il y a des chanteurs aujourd’hui qui font six ou sept ans de carrière et après la voix n’y est plus. Et puis, dans une carrière comme celle-ci, il faut faire de grands sacrifices. Mais je sens toujours la joie et l’envie de les faire. Le sacrifice le plus dur à accepter aujourd’hui, c’est d’être loin de la famille, car la musique prend des espaces trop importants qui pourraient être consacrés à la famille, à passer du temps avec ma fille.

Chanter c’est votre vie ou c’est une profession ?

C’est quelque chose que j’aime beaucoup faire. Chanter fait partie de ma vie, mais ce n’est pas toute ma vie. Ma vie, ce sont aussi d’autres choses.

Merci beaucoup Vittorio.

Visuels : Trovatore Liceu © A. Bofill / Carmen Goryachova Grigolo © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn 

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La Rédaction

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