Opéra
Passion et démesure : les débuts de Vittorio Grigolo au Teatro Colón de Buenos Aires

Passion et démesure : les débuts de Vittorio Grigolo au Teatro Colón de Buenos Aires

05 June 2023 | PAR La Rédaction

Lundi 29 mai, dans le cadre du Cycle Grands Interprètes 2023 qui accueille les plus importants artistes internationaux, le ténor italien Vittorio Grigolo a fait ses débuts au Teatro Colón de Buenos Aires sous la baguette du chef turinois Evelino Pidò à la tête de l’Orchestre Permanent du grand Colisée argentin.

Par Marta Huertas de Gebelin

Il y a des artistes lyriques au chant aseptisé : tout est à sa place, dans les normes, leurs performances sont parfaites… mais ils ne nous font pas vibrer. D’autres, par contre, ont tendance à en faire un peu trop, et certains puristes se montrent mal à l’aise ou méprisants face à leur exubérance.
C’est précédé de cette réputation un tant soit peu sulfureuse que Vittorio Grigolo s’est produit lundi dernier au Teatro Colón. Nul ne peut nier, cependant, la place de choix qu’il occupe aujourd’hui sur la scène lyrique internationale. Son Hoffmann, qui a recueilli des critiques superlatives à La Scala en mars dernier, et son agenda qui ne désemplit pas d’ici juillet 2024 (et sans doute bien plus loin) l’attestent amplement. Quoi qu’en disent certains, c’est un grand chanteur lyrique. Trop passionné et excessif ? Peut-être…
Mais, nous sommes ici loin des grands centres lyriques européens et nord-américains, et nous connaissons les grands interprètes surtout grâce à des enregistrements audio ou vidéo qui, même pris sur le vif, ne sont pas des documents valables pour juger d’une performance lyrique. Il faut voir et écouter l’artiste sur scène pour apprécier pleinement ses qualités et ses limites. Qu’en est-il donc de Vittorio Grigolo ?

Une voix de toute beauté et une théâtralité exagérée

Au Teatro Colón, le ténor italien a offert une performance qui visait à tout moment la correspondance émotionnelle directe avec le public, se déplaçant sans cesse sur le devant du plateau et dramatisant excessivement ses interventions, telle son entrée sur scène pour chanter « Che gelida manina », le col de son habit relevé, se frottant les mains sur les bras comme pour se réchauffer et … adressant un clin d’œil complice aux spectateurs. La théâtralité et l’hyperactivité s’avèrent pourtant être plutôt nuisibles à l’établissement de l’atmosphère romantique et intime de cet air célèbre. Par ailleurs, aux applaudissements chaleureux du public, il a répondu à tout moment par des saluts quelque peu exagérés, les bras écartés et les mains grandes ouvertes.
Cependant, son charisme est indéniable, et le timbre de la voix est d’une telle beauté, franc, rond et d’une couleur incomparable. Le passage de registre est maitrisé avec intelligence, les aigus sont insolents et la voix, superbement projetée, a rempli la salle du Teatro Colón.
Ce serait idéal si sa ligne de chant ne souffrait pas d’un jeu constant entre forte et pianissimi (qui deviennent quasiment inaudibles), que ses tempi n’étaient pas si souvent capricieux alors qu’il s’investit à un tel point dans chaque interprétation qu’il finit en nage, épuisé. Mais quoi ? Il nous émeut et nous séduit, car il ne chante pas que des notes, il fait vivre sur scène des personnages bien différents tout au long de la soirée.

Un programme de hits lyriques incontestés

Sur le papier, le programme du gala était plutôt traditionnel et bâti autour de pages incontournables des répertoires lyriques italien et français. Pas de surprises donc, de ce côté-là. Tout au plus, pouvait-on se demander pourquoi la participation du ténor était assez peu étoffée : les sept airs qu’il avait choisis alternaient avec des ouvertures et des intermezzos de Verdi, Rossini, Puccini, Mascagni, Bizet et Bellini joués par l’Orchestre du Teatro Colón.
Dans une récente interview, Grigolo nous a appris qu’il avait conçu cette performance comme une carte de présentation pour un public qui l’écouterait pour la première fois. Il leur a donc offert un panorama des rôles les plus significatifs de sa carrière passée et actuelle : le duc de Mantoue, Nemorino, Rodolfo, Manrico, Roméo, Don José et Werther. Autrement dit, un répertoire allant du ténor lyrico-léger (qu’il ne chante plus, sauf en concert pour ce qui est des airs) au lyrico-spinto.

Le Gala a commencé par l’Ouverture de I Vespri Siciliani, un véritable chef-d’œuvre verdien souvent joué en concert, avant-goût des excellentes interprétations orchestrales que nous allions écouter tout au long de la soirée sous la baguette sûre et inspirée du Maestro Evelino Pidò.
Pour son entrée sur scène, Grigolo avait choisi un véritable tube lyrique, « La donna è mobile » de Rigoletto, sans doute l’air le plus misogyne de toute l’histoire de l’opéra, mais aussi l’une des mélodies lyriques les plus populaires jamais composées, que l’on ne peut pas s’empêcher de fredonner.
Après la célébrissime ouverture de l’opéra Il Barbiere di Siviglia de Rossini, Grigolo a chanté l’un des airs les plus émouvants du romantisme belcantiste, « Una furtiva lagrima » de L’Elisir d’amore de Donizetti, qui a remporté un grand succès auprès du public, plus par la sincérité et l’élan émotionnel qui s’en dégageaient que par son phrasé.
Le volet du programme dédié à Puccini comportait l’Intermezzo qui ouvre le troisième acte de Manon Lescaut, l’une des fresques symphoniques les plus connues du grand compositeur lucquois, et le célèbre Che gelida manina où Grigolo a campé un Rodolfo passionné et attachant.

Avant d’aborder l’Intermezzo de Cavalleria Rusticana de Mascagni, musiciens et spectateurs ont vécu un moment historique quand l’un des membres de l’Orchestre a offert au Maestro Evelino Pidò la baguette du grand Arturo Toscanini – une relique de l’institution – pour diriger cette pièce orchestrale qu’il a su rendre dans toute sa beauté et sa puissance évocatrice.

Cette émouvante mélodie a précédé la légendaire cabalette « Di quella pira » de Il Trovatore, un rôle que Grigolo a débuté l’année dernière à Barcelone et reprendra bientôt à Munich. A-t-il ou n’a-t-il pas la voix du Trouvère ? se demande-t-on. (Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut vraiment dire ?). En tout cas, le ténor a relevé avec brio le défi vocal que suppose cet air martial et il a campé un Manrico passionnant, finissant en beauté la première partie du concert.

Dans la seconde partie, entièrement consacrée au répertoire français (sauf l’Ouverture de Norma de Bellini), l’orchestre a joué le bel Intermezzo de l’acte III de Carmen. Quant à Grigolo, on le sent à l’aise quand il chante dans la langue de Molière avec une diction presque parfaite. Il est vrai qu’il a fait ses études dans une école française et qu’il la maîtrise donc fort bien. Dans ce répertoire, il est aussi moins débordant, plus mesuré. Pour ce dernier volet du gala, il a choisi d’interpréter trois hits lyriques emblématiques : « Ah ! lève-toi soleil » de Roméo et Juliette de Gounod, « La fleur que tu m’avais jetée » de Carmen et, en clôture du programme officiel, « Pourquoi me réveiller ? » issu de Werther.

Des rappels moins prévisibles

Comme il est d’usage, à la fin du concert, le ténor se devait d’accorder des bis au public qui n’arrêtait pas d’applaudir. Bien souvent, les rappels d’un concert lyrique sont des chansons italiennes ou des mélodies qui permettent à l’artiste de briller sans trop se fatiguer.
C‘est là que Grigolo nous a surpris. Choisissant pour premier bis “En fermant les yeux” de Manon de Massenet, il a démontré qu’il mérite sa notoriété. Chanté en mezzo-forte, avec des pianos poétiques, sans excès, l’interprétation de l’air a été centrée sur le sens profond du texte.
Inattendu lui aussi, le traditionnel « Libiamo ne’ lieti calici » de La traviata puisque, quoiqu’il s’agisse de l’un des duos les plus connus au monde qui clôt d’habitude les concerts lyriques, il n’y avait pas d’interprète féminin dans le gala. Il a compté ce soir avec la participation de la soprano argentine Laura Pisano mais Grigolo a surtout privilégié l’interaction avec le public, en l’invitant à plusieurs reprises avec de grands gestes à taper des mains pour suivre le rythme.
Finalement, il a enlevé la veste de son habit pour interpréter, avec une passion viscérale, « Vesti la giubba » le grand air de Canio dans I Pagliacci de Leoncavallo, un air qui fait partie de son répertoire actuel et qu’il vient d’enregistrer dans un album consacré au vérisme.
En somme, ce fut un Gala lyrique empreint de passion (et parfois de démesure), avec un Orchestre qui a donné le meilleur de lui-même sous la direction d’Evelino Pidò et un grand chanteur lyrique qui possède l’une des voix de ténor les plus importantes du panorama actuel et qui serait capable d’offrir un spectacle mémorable s’il contrôlait davantage ses débordements et son hyperactivité sur scène.

Visuels : © Arnaldo Colombaroli 

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La Rédaction

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