Une chauve-souris de Strauss flamboyante à l’Opéra de Rennes
L’Opéra de Rennes a maintenu une nouvelle production de ce qui est peut-être l’opérette la plus connue du répertoire allemand : La Chauve-souris de Johannes Strauss II.
Capter au rythme du Covid
Cette production flamboyante, qui fait le pont entre Vienne, Paris et Rennes est captée à Rennes les 8, 10 et 12 mai avec France Télévisions et Radio France pour une projection le 9 juin à 20H30 sur plus de 40 grands écrans de Bretagne et de Pays de Loire et une diffusion sur France Musique le 5 juin. Toute La Culture a eu la chance d’assister à la représentation du 10 mai réservée à un public de professionnels.
La création d’une œuvre lyrique par temps de crise sanitaire
Quand on arrive devant l’Opéra de Rennes que Google maps s’entête à déclarer “fermé” – comme tous les lieux de culture – ce sont une demi-douzaine d’immenses camions que l’on découvre devant la façade. A l’intérieur, on trouve chaleur et une bien jolie effusion. Le directeur, Matthieu Rietzler accueille, pour cette deuxième représentation pour la captation, une petit public de professionnels (dont en grande partie l’équipe qui a créé l’opérette). C’est seulement la deuxième fois que le chœur joue sans les masques et le directeur de l’Opéra salue la manière exemplaire dont les mesures sanitaires ont été respectées, avec notamment des tests PCR avant chaque répétition. L’orchestre est le royaume des caméras de France Télévisions et nous sommes perchés au balcon pour nous plonger avec délectation dans le vaudeville à la viennoise… À la baguette, Claude Schnitzler dirige, avec toute la vivacité que demande cette œuvre écrite en 43 jours de fièvre par son compositeur, des musiciens de l’Orchestre de Bretagne dont certains sont éparpillés dans des loges. La musique traverse les temps et l’on se replonge dans les “hits” de la Vienne de la Belle époque avec une immense joie.
Une œuvre populaire
Populaire également est la présence de la Guenièvre de la série Kaamelott, Anne Girouard, comme narratrice gouailleuse, peut-être plus parisienne que viennoise – et pour cause : c’est elle qui veille à ce que les intermèdes parlés des chanteurs soient tous doublés en Français pour assurer une plongée plus immédiate dans l’opérette. Et il est vrai qu’ainsi l’humour même du titre – qui est une blague en lui-même, se transmet avec plus de clarté. Que la comédienne endosse également sans nuance le rôle du gardien saoul de cognac de la prison, nous fasse attendre un peu le final ou joue avec les masques et les cas contacts et autres mots de temps de pandémie, permet de rapprocher La Chauve-souris du public et c’est une vulgarisation tout à fait fonctionnelle et louable.
Dorures et vaudeville
À la mise en scène, le directeur du Théâtre de la Croix-Rousse des dix dernières années, Jean Lacornerie propose des dorures et des flonflons francs et massifs. Le premier tableau épingle dans un cadre à foyers multiples et lumières dorées les protagonistes de l’intrigue : Rosalinde qui n’a pas épousé le Maître de chant Alfred pour choisir le riche Gabriel voit sont mari emprisonné pour huit jours alors qu’Alfred sonne à sa porte. Mais le joyeux Gabriel, toujours prompt à suivre les élans de sa montre compte bien faire une dernière nuit de nouba chez le Prince Orlofsky avec les petits rats de l’opéra avant de passer du temps à l’ombre. De son côté, son mari n’est pas aussitôt parti que Rosalinde reçoit Alfred. Mais le directeur de la prison vient arrêter Alfred en lieu et place de Gabriel…
Le glorieux cadre s’ouvre pour un deuxième acte de vraie fête viennoise avec des rideaux et des nappes en or, un escalier de cabaret et la masse des danseurs et des merveilleuses voix du chœur Mélisme(s). En plus de la bonne de Gabriel, de sa sœur et du directeur de la prison, on célèbre l’arrivée d’une mystérieuse princesse Hongroise masquée. Déjà sublime dans le “So muss allein ich bleiben” du premier acte, Eleonore Marguerre touche au sublime dans l’air de la patrie, donnant le “la” de tout ce qu’il y a à la fois d’ironique et de grave derrière les dorures grivoises de l’œuvre. Il se trouve que cette mystérieuse hongroise est Rosalinde elle-même!
Rennes – Vienne – Paris, un grand voyage
Le décor s’ouvre encore pour proposer une sublime lumière verticale et des armatures en fer pour un final en prison où toutes les vapeurs de l’alcool se dissipent et où les époux volages aussi bien que les blagues cruelles se dévoilent et désarment. Un temps, avec le directeur de la prison (l’authentique viennois Horst Lamnek), l’allemand a un peu pignon sur rue, mais le français gouailleur revient fièrement lancer un final festif et virevoltant nous appelant tous à boire un coup. Nous ne le ferons pas, attendant que les terrasses ouvrent le 19 mai et puis 22H40 ce sera encore trop tard un temps, mais en attendant cette plongée authentique et vivifiante dans la vraie-fausse légèreté de l’opérette de Strauss nous a réjoui les sens et l’âme. Merci et longue vie à cette Chauve-souris accessible, fidèle et généreuse.
La Chauve-Souris de Johannes Strauss II, direction : Claude Schnitzler, mise en scène : Jean Lacornerie, scénographie et costumes : Bruno de Lavenère, lumières : Kevin Briard, Orchestre National de Bretagne – direction musicale : Grant Llewellyn, Chœur de Chambre Mélisme(s) – direction : Gildas Pungier. Avec : Stephan Genz, Eleonore Marguerre, Claire de Sévigné, Veronika Seghers, Milos Bulajic, Thomas Tatzl, Horst Lamnek, Stephanie Houtzeel, François Piolino et Anne Girouard – 2h15 – Une production Opéra de Rennes – Nantes Angers Opéra.
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