Opéra
Pelléas poétique au chevet de la prosodie à Montpellier

Pelléas poétique au chevet de la prosodie à Montpellier

14 March 2022 | PAR Gilles Charlassier

L’Opéra national de Montpellier présente la production poétique de Pelléas et Mélisande que Benjamin Lazar avait réglée pour Malmö, avant d’être redonnée à Karlsruhe, avec une distribution ciselant la prosodie aux confins de la musicalité de la parole, sous la baguette souple de Kirill Karabits.

L’unique opéra que Debussy ait achevé – Le martyre de Saint-Sébastien, qualifié par le compositeur de mystère, relève d’un hybride qui dépasse le cadre du genre lyrique – inspiré par la pièce homonyme de Maeterlinck, Pelléas et Mélisande, baigne dans un onirisme poétique rétif au réalisme primaire. Ce que Benjamin Lazar a bien compris pour sa mise en scène, qu’il inscrit, au milieu de la forêt évoquée par les paroles liminaires de Golaud, au début de l’ouvrage. Dessinés par Adeline Caron et rehaussés avec tact par les lumières de Mael Iger, les décors superposent sur ce fond sylvestre des chambranles de portes et un peu de mobilier pour évoquer le château d’Allemonde, la grotte devant laquelle veillent trois miséreux, ou encore la balançoire autour de laquelle s’articule la tension des amants au pied de la tour. Plutôt que la littéralité des images, c’est toute une géographie psychologique qu’esquisse le travail du metteur en scène français. A rebours des épures qui s’appuient sur des archétypes et des symboles du royaume d’Arkel pour immerger dans le climat singulier de l’univers maeterlinckien, la présente lecture bâtit l’espace dramaturgique à partir de l’intériorité des protagonistes.

Cette option herméneutique, qui restitue, de manière autre et complémentaire, également efficiente, l’originalité de cet imaginaire, s’appuie sur une distribution vocale privilégiant la nudité de la déclamation à l’enveloppe lyrique. Confier le rôle de Mélisande à une comédienne se révèle, à ce titre, tout à fait symptomatique – et un pari réussi. Judith Chemla avait déjà collaboré avec Benjamin Lazar pour Traviata, vous méritez un avenir meilleur, adaptation de l’opéra de Verdi, et condense toute la candeur virginale de la voix attendue, dans une émission presque débarrassée des artifices du chant, qui confond avec une évidence rare l’ambivalence et la sincérité de l’incarnation. En Pelléas, Marc Mauillon s’inscrit dans cette même primauté accordé au verbe, et se distingue par une grande justesse de la présence dramatique. La qualité de la diction se retrouve même dans le Golaud non francophone d’Allen Boxer, moins puissant que certaines illustres interprètes peut-être, mais d’une admirable concentration dans la souffrance, voire la torture mentale, dans le droit fil des choix en termes de plateau vocal.

Vieillard d’une crédibilité qui ne sacrifie pas l’intégrité d’un timbre à l’éméritat assumé, Vincent Le Texier fait une impression durable en Arkel, aux côtés duquel la Geneviève d’excellente tenue et à la couleur idiomatique, laisse une empreinte plus proche du calibre secondaire du rôle. Julie Mathevet fait rayonner la juvénilité fraîche et timide d’Yniold, quand Laurent Sérou s’acquitte sans démériter des interventions du médecin et du berger.

A la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, Kirill Karabits fait respirer les ineffables nuances de la partition de Debussy, dans une belle synchronie avec le plateau, et met les chatoiements des pupitres de la fosse au service de la narration inimitable de l’œuvre. Une belle synthèse entre qualités symphoniques et sens du théâtre lyrique.

Pelléas et Mélisande, Debussy, Opéra Comédie, Opéra national de Montpellier, du 9 au 13 mars 2022.

© Marc Ginot

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