Opéra
Médée, monstre ordinaire au Festival de Salzbourg

Médée, monstre ordinaire au Festival de Salzbourg

23 August 2019 | PAR Paul Fourier

La force de l’interprétation, combinée à la puissante production de Simon Stone, renouvelle le mythe monstrueux de Médée. Dommage, pourtant, qu’on ne comprenne pas un mot !

Le Festival de Salzbourg est affaire de metteurs en scènes dont certains refont l’Histoire et jettent des ponts entre le monde antique et la société contemporaine, avec ses personnages et ses nouvelles technologies.
Si, pour Simon Boccanegra, Andreas Kriegenburg, en manque d’inspiration et d’imagination, a réduit notre époque aux tours de Wall-Street et à des tweets viraux, Simon Stone lui, démontre, une fois de plus, sa capacité à exploiter les ressorts d’un drame millénaire, et ce, sans sombrer dans le trivial.
Il fait le choix de conter, dès l’origine, une histoire tout ordinaire de couple qui va évoluer inexorablement vers un fait-divers sordide. Beaucoup pourront lui reprocher, de faire disparaître la dimension mythique du pire crime possible, l’infanticide, et d’amoindrir ainsi le propos en le ramenant à la trivialité de notre quotidien. Nous pourrons tout autant, considérer que, ce faisant, il démontre que la Médée originelle ne s’inscrit finalement que dans une suite linéaire et ininterrompue de Médée.s ; la litanie des faits-divers ne nous le démontrant que trop.
L’épouse reniée perd son identité symbolique de monstre pour devenir une femme ordinairement monstrueuse ; ce qui choque finalement plus, car il devient impossible de se retrancher derrière la distance et la mythologie pour amoindrir l’atrocité du geste fou. La pertinence de Stone repose sur cette capacité à redonner force dans le drame, voire dans l’horreur, à nous effrayer et nous mettre mal à l’aise, nous spectateurs du XXIe siècle comme le furent les spectateurs grecs qui assistaient aux représentations d’Euripide.
Comme dans l’Œdipe (donné également à Salzburg cette année), il émerge une réflexion sur la culpabilité et ce, grâce à une reconstitution minutieuse des causes qui amènent Médée à haïr son mari, puis à envisager, concevoir et exécuter l’acte monstrueux.
L’histoire est commune mais cohérente. La vidéo ne souligne pas ce qui se passe sur scène mais complète le nouveau récit. C’est l’histoire d’un couple bourgeois aisé, d’enfants qui jouent et vont à l’école. Avant que ne commence l’Opéra, l’infidélité de Jason est révélée à la sa femme. S’ensuivront la séparation et l’exclusion de l’épouse délaissée.
Cette dernière va s’enfermer dans un cercle obsessionnel, compulsif et mortifère illustré par les appels et sms incessants (avec Amira Casar en voix off), grâce auxquels elle tente de regagner l’amour de son mari et de l’alerter sur sa propre dérive. La répétitivité du procédé est certes lassante sur la longueur mais illustre parfaitement cette folie qui grandit.
Le metteur en scène soutient que l’infidélité de Jason appartient à sa nature profonde ; s’ensuivront l’enterrement de sa vie de garçon, le meurtre de Dircé au moment du remariage, puis la fuite en automobile de Médée qui a enlevé ses enfants et finalement l’épilogue suicidaire et meurtrier dans une station-service.
Stone en profite pour dépeindre également la déchéance sociale de la femme renvoyée vers les endroits les plus triviaux. Médée, chassée du pays, réapparaît dans la misérable cabine téléphonique d’un Internet café, alors que le mari lui répond de son superbe appartement ; Médée égorge une serveuse dans les toilettes pour lui voler son uniforme ; Médée, devenue étrangère et migrante, interdite de territoire, est cueillie à l’aéroport par Créon et ameute les médias qui retransmettent en direct son retour.

Le dispositif de Simon Stone ne peut fonctionner qu’avec une véritable troupe d’acteurs capable de s’insérer dans ses dispositifs en les rendant crédibles. Et c’est absolument le cas avec la distribution réunie pour ce Médée !
On apportera peu de réserves sur leurs capacités vocales qui collent aux choix de la production. On ne trouvera, en revanche, aucune excuse au français déplorable unanimement émis par ces interprètes non francophones. Lorsque l’on arrive à une telle bouillie, il faut s’interroger sur les conditions de répétitions qui ont abouti à ce résultat et ceci, dans le plus prestigieux Festival lyrique !
Incarnant la femme blessée et rejetée avec une intensité et une détresse palpable, Elena Stikhina est superbe dans le rôle-titre. Transformée néanmoins en personnage beaucoup plus ordinaire que l’habituelle Princesse intransigeante, elle est aussi plus monolithique et s’abstient trop de varier les couleurs comme le fait d’habitude un monstre plus assumé.
L’autre héroïne féminine, Dircé est interprétée par Rosa Feola qui est absolument remarquable avec sa voix puissante, tranchante même, marque de la femme volontaire qui a séduit Jason et n’entend pas le lâcher !
Pavel Cernoch remplit le contrat sans s’avérer un Jason inoubliable ; mais, jouant de belles nuances, il parvient néanmoins à traduire les contradictions de l’homme dépassé par ses pulsions de mâle stupide. Vitalij Kowaljow est un Créon dont la voix est tout d’un bloc, comme son caractère intraitable et Alisa Kolosova, incarne une Néris qui se saisit ardemment du personnage volontaire que lui a concocté Simon Stone. La formation chorale du Concert Association of the Vienna State Opera Chorus se montre exemplaire dans les scènes de groupe, pour servir la puissante musique de Cherubini.
Dès l’ouverture, le Wiener Philharmoniker, que l’on a pu trouver si commun sous la baguette de Valery Gergiev dans Simon Boccanegra, éblouit par sa force sous la direction âpre et précise de Thomas Hengelbrock. La dynamique qui en résulte nous happe et ne nous quittera plus jusqu’à l’épilogue.
A la sortie de la représentation, on doit reconnaître le talent incontestable de Simon Stone pour démontrer l’intemporalité et l’universalité des mythes antiques. Surtout, lorsque l’ensemble de l’équipe vocale et musicale est au diapason pour faire briller la partition géniale de Cherubini. Resterait, pour atteindre des sommets d’opéra, à convaincre que la beauté et la rythmique de la langue française sont des atouts maîtres pour ce type d’œuvre. C’est loin d’être gagné…

Visuel : © SF/Thomas Aurin

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Paul Fourier

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