Opéra
Javier Camarena, cet extraordinaire chanteur populaire

Javier Camarena, cet extraordinaire chanteur populaire

21 January 2021 | PAR Paul Fourier

L’Espagne fait partie des très rares pays à maintenir le lien de ses habitants avec la culture vivante. Le simple fait de traverser une frontière nous permet de savourer des plaisirs aujourd’hui interdits en France. Le récital de Javier Camarena au Palau de la Musica Catalana de Barcelone n’était pas à ranger parmi les moindres.

Qui aurait dit, il y a un an, que chercher, trouver et savourer un récital lyrique deviendrait un parcours du combattant et qu’y parvenir procurerait la joie de l’explorateur qui, dans la jungle, découvre un temple inca enfoui et inaccessible ? Puisque notre gouvernement persiste dans son mantra de « spectacle vivant non essentiel », nous, journalistes, avons encore quelques possibilités de voyager pour, ne le cachons pas, à la fois notre propre plaisir, mais aussi pour continuer à faire partager des émotions à ceux qui n’ont pas notre chance.
Le passage de la frontière qui sépare la France et l’Espagne se gagne avec un test Covid et un formulaire à présenter aux autorités et, la moindre des choses, pour ce pays accueillant, le respect, une fois sur place, des règles liées à la pandémie.
Barcelone est aujourd’hui une ville grouillante d’activités où les restaurants sont ouverts le matin et le midi et où le couvre-feu démarre à 22h. On pourrait croire à une vie sinon normale, en tout cas qui ne se limite au métro-boulot-(TV)-dodo français.
Ce lundi 18 janvier, le ténor d’origine mexicaine, Javier Camarena, faisait donc escale (après Monaco et Madrid tout dernièrement) au Palau de la Música Catalana pour un programme visiblement élaboré sur mesure pour Barcelone et très largement tourné vers la chanson populaire. Cela permettait, de surcroit, de profiter de la beauté exubérante d’une salle à l’acoustique impressionnante et chef d’œuvre du mouvement modernista catalan du début du XXe siècle.
Comme s’il s’agissait d’un passage obligé pour un artiste lyrique, Javier Camarena commence avec trois airs d’opéras de Donizetti, impeccablement exécutés, le très drôle « Je suis joyeux » (de l’opéra Deux hommes et une femme) , un air de Lucrezia Borgia et le dernier de Betly.
Mais ici, en ce jour précis, l’on sent que le talent de Camarena va être mieux employé dans un répertoire plus trivial, pour lequel il possède un talent incontestable, répertoire qui lui permet d’exprimer à loisir sa personnalité sensible et généreuse. Tous ceux qui ont déjà eu la chance de voir Camarena en récital, savent que ses prestations, au-delà de sa voix extraordinaire, sont le fait d’un mélange d’humilité, de gentillesse et de jovialité. Il en découle une proximité avec le public et pour affirmer cette complicité, quoi de mieux que de prendre le chemin de la chanson populaire ?

Après les Donizetti, il enchaine donc d’abord avec des chansons napolitaines formidablement interprétées et magnifiquement accompagnées par le pianiste Angel Rodriguez. Si les quatre airs proposés sont un vrai bonheur à entendre, on s’arrêtera sur un ‘A vucchella de Paolo Tosti, véritable miracle de sensibilité où la voix, parfois susurrée, caresse l’oreille et emploie mille variations puis sur un sublime Passione de Tagliaferri, Bovio et Valente.
Si l’on souligne l’énergie positive dégagée ce soir-là, il faut rendre justice à la collaboration exemplaire entre le ténor et son complice et extraordinaire pianiste, Ángel Rodriguez. Le talent de l’accompagnateur s’exprime tantôt en une dynamique réjouissante totalement adaptée aux répertoires choisis, tantôt en finesse et en caresses de séductions qui incitent à fermer les yeux pour se laisser emporter par la voix enjôleuse du chanteur.
L’espace d’un moment, Rodriguez s’extrait du duo pour jouer une adaptation enfiévrée et de son cru, reprise du thème des Parapluies de Cherbourg. Le thème de l’amour y est porté avec cette passion mêlée de nostalgie qui fut si bien portée par le couple Michel Legrand – Jaques Demy. Un pont est jeté vers la culture populaire française, complétant sur son flanc nord l’exploration de cette belle soirée.
Mais, nous sommes en Espagne, patrie de la Zarzuela et le ténor sait si bien se couler dans ce répertoire qu’il nous fait basculer (le public catalan encore plus que votre serviteur ! ) dans le plaisir presqu’enfantin de ces chansons que l’on fredonne et qui éveillent en vous les délicieux souvenirs des beaux jours.
Sur Mujer de los negros ojos (d’El Huésped del sevillano de Jacinto Gerrero), la voix s’affirme franche et séductrice, les vocalises enjôleuses… et l’on surprend une femme les yeux fermés, dont les mains, à défaut du reste du corps, témoigne de l’envie de danser langoureusement.

Tel un chanteur populaire qui charme les belles à leur balcon.

Suit un perfidia (d’Alberto Dominguez) absolument incroyable qui suscite une ovation, expression d’un plaisir simple et spontané qui donne du baume à l’esprit et l’éclaire en ces temps contrariés. Le dialogue de l’artiste et de son public est joyeux, rieur ; les petits cris fusent et chacun répond aux sollicitations du chanteur lorsqu’il leur demande s’ils passent une bonne soirée. Le medley d’airs de José Alfredo Jiménez transfigure définitivement Javier Camarena en un chanteur populaire qui pourrait bien alors, ce soir, être en train de charmer les belles à leur balcon.
Les bras se tendent vers les hauteurs, la générosité s’étend du parterre aux plus hauts rangs du balcon sans oublier l’arrière-scène, objet de ses attentions régulières.
Ce sont cinq longues minutes d’applaudissements et de bravos d’un public désormais debout, qui permettront de saluer les deux artistes et d’espérer des bis, forcément peu nombreux alors que l’heure fatidique du couvre-feu approche.
Ils enchaîneront d’abord sur un sensible et généreux Esta tarde vi llover d’Armando Manzanero, profondément émouvant, que le ténor dédiera, dans un silence empreint d’une grande émotion, aux victimes de la Covid.
Enfin, nous sommes à Barcelone, et, même s’il n’est manifestement pas familier de la langue catalane, en s’aidant de sa tablette, il entonnera un Pel teu amor (de Ribas) dont les « Rosó, Rosó » sont repris en chœur et avec retenue pour ne pas couvrir la voix de l’artiste, par un public dévoué et conquis.
C’est dans une atmosphère de fête que chacun, un refrain en bandoulière, pourra rejoindre son logis avant 22 heures, en gardant en son cœur, la musique et le spectacle vivant éternels remèdes de l’âme…

Visuels : © Paul Fourier

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Paul Fourier

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