Opéra
André Chenier à Londres ou le miracle d’un duo au sommet

André Chenier à Londres ou le miracle d’un duo au sommet

22 May 2019 | PAR Paul Fourier

Roberto Alagna et Sondra Radvanovsky transcendent l’opéra de Giordano par des qualités vocales hors du commun et une complicité flagrante.

L’opéra de Giordano, dont le livret relate l’histoire du poète victime de la Révolution française, semble, malgré son thème lié aux convulsions de l’Histoire de France, plus populaire outre-manche que dans l’hexagone. La production qui date de 2015 (et qui réunissait alors Jonas Kaufmann et Eva-Maria Westbroek) met à l’affiche deux stars, Roberto Alagna et Sondra Radvanovsky (dont l’une semble plus connue à Londres si l’on se réfère à la publicité du Royal Opera House essentiellement centrée sur le ténor). Les deux artistes n’ont pas chanté si souvent ensemble ; on attendait donc cette nouvelle rencontre avec impatience.

Et l’on doit dire que le mariage des timbres sonne immédiatement comme une évidence tant ces deux-là utilisent leurs forces et leurs handicaps comme des atouts maîtres, chantent avec une passion dévorante et ne s’enferment jamais dans un étalage de chant esthétisant. La complicité des deux artistes étant également flagrante, on s’interroge même sur ce qui fait que l’alliance n’est pas plus souvent à l’affiche.

On avait quitté Roberto Alagna valeureux mais un peu souffrant à Paris. On le retrouve triomphant à Londres et accompagné d’une interprète d’exception.

Dès son arrivée, le ténor illumine littéralement la scène. Sans contestation possible, ce rôle vériste est, aujourd’hui, fait pour lui et ne lui pose pas la moindre difficulté. Sa voix, un peu capricieuse dernièrement dans son Otello parisien, est au meilleur. L’air d’entrée est une véritable leçon de chant : timbre solaire, multiples nuances, aigus parfaitement maîtrisés, engagement dramatique. Le poète vibre fortement dès le prélude chez ce diable de ténor qui ne va cesser de nous ébahir, nous touchant au cœur dans chacune de ses interventions. Cet instrument gorgé de soleil donne au personnage une fougue qui le rendrait immortel s’il n’était promis au châtiment. Roberto est grand mais, de surcroît, aujourd’hui, c’est du très grand Alagna.

Sondra Radvanovsky est juste une parfaite Maddalena ou tout simplement une Maddalena très juste. Une fois sortie des minaudages du premier acte, fort peu en adéquation avec le physique de la chanteuse, on a affaire à une femme simple, harassée par le destin et pressurée par un quotidien horrifique. L’écriture du rôle jouant peu sur ses actuelles qualités vocales, ses notes filées et son souffle inépuisable, elle se pare d’une élégance et d’une sobriété stylistique extrême, s’imposant par un chant d’une évidente autorité et par un timbre trempé d’acier. Lorsque, comme une complainte désespérée, s’élève sa « mamma morta », c’est une visite à laquelle elle nous convie dans son esprit fatigué par tant d’épreuves. Moment suspendu, moment divin.

Au début de la représentation, le Gérard de Dimitri Platanias semble un peu terne et la voix peu riche en couleurs. Composant, en revanche, un homme blessé par sa condition, il est parfaitement le personnage tourmenté par la haine de classes. Puis, progressivement, sans se hisser dans les cimes inaccessibles de ses partenaires, son chant se délie, se colore et son monologue de l’acte III est de toute beauté.

Retrouver Rosalind Plowright dans le rôle de la Comtesse de Coigny ne manque pas de sel d’autant que la chanteuse a de beaux restes et que son numéro de scène en noble autoritaire qui n’entend pas se laisser distraire de sa gavotte, ne fût ce que par une Révolution en préparation, est particulièrement savoureux. Elena Zilio se taille un beau succès dans le rôle de la vieille illuminée Madelon grace à des piani et des graves de toute beauté. Quant à la Bersi de Christine Rice, elle est presque un luxe dans un rôle aussi court. On ne peut citer le reste de la distribution mais il est exemplaire tout comme le chœur du Royal Opera House.

Alors, si l’on peut déceler parfois un fâcheux manque de tension dans cette œuvre qui doit être âpre, cela est dû à la mise en scène de David Mac Vicar qui manque profondément de dramatisme, se bornant à aligner, l’un après l’autre, les tableaux figuratifs. C’est comme si celui-ci n’avait pas su saisir ou retranscrire le basculement cataclysmique d’un monde, l’ultra-violence de l’époque Robespierriste, les procès bâclés et les exécutions expéditives. Ce faisant, et c’est fort dommage, les chanteurs n’ont plus que leurs propres qualités pour traduire la progression dramatique. S’ils y parviennent sans mal, on regrette qu’une alchimie qui aurait mené le spectacle à des sommets n’ait pas pu se créer complètement.

La direction de Daniel Oren est de haut niveau mais souffre du même défaut et manque trop souvent de fulgurances. C’est irréprochable musicalement mais peut-être un peu trop propre pour la fureur révolutionnaire.

Les réserves mises à part, il semble impossible de rater ce couple incroyable, si rarement réuni. L’un et l’autre sont au sommet de leur art.

Visuels : © ROH 2019 / Catherine Ashmore et Paul Fourier

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Paul Fourier

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