Marionnette
Avignon OFF : Buffles, une si douce sauvagerie

Avignon OFF : Buffles, une si douce sauvagerie

15 July 2021 | PAR Thomas Cepitelli

Emilie Flacher met en scène avec finesse, le premier volet de la trilogie animale de Pau Miró. Quand l’animalité interroge le travail de deuil. Bluffant. 

Cage (de scène) pour animaux pas si sauvages 

Sur scène, une boite fermée représente une blanchisserie. Tout y est : les machines à laver, les chaises en plastique pour patienter, la lumière blafarde. À travers la vitrine, on aperçoit une famille de buffles en marionnettes. Ladite boite s’ouvre et se fait tout à la fois castelet de marionnettes et espace de jeu pour acteurs. La scénographie ne cessera d’évoluer, comme un jeu de construction pour enfants, ou comme le lieu d’une possible reconstitution pour ne pas dire réparation. Entre effets de réel et espace onirique, elle se fait espace mental. 

L’histoire qui s’y joue est simple. On y découvre une famille, les parents et six enfants, enfin, plus que cinq. Max, le plus jeune des fils a disparu une nuit, sans laisser de traces. La mère, après une crise mystique et une addiction au jeu, également. Puis viendra le tour du père. Et ces cinq enfants vont bien devoir faire avec ces disparitions, ces absences. Ils vont faire leur travail de deuil, et grandir, en fin de compte. De la polyphonie d’un chœur d’enfants-buffles aux cinq monologues d’adultes-buffles qui closent le spectacle, c’est, au fond, de l’individuation, de la part d’enfance qu’il faut abandonner dont il est question. Pau Miró nous épargne les faciles liens anthropomorphiques que nous pourrions faire. Il n’est pas ici question seulement de la violence des buffles, de la peur des lions. Non, il est surtout question de la perte, de ce à quoi l’on renonce lorsqu’on grandit. 

De la finesse des buffles et de ceux qui les animent

Les marionnettes représentant les buffles sont manipulées à vue par des acteur-manipulateurs. Ce choix judicieux d’Emilie Flacher permet, on s’en doute, une réflexion sur les liens entre l’animal et l’homme, entre la bestialité et l’humanité, entre l’état de nature et celui de culture. Mais là ne semble pas être le sujet central. L’art de la marionnette est ici assumée comme tel. Elle est objet de fiction tout autant que la parole. On est émerveillé par la finesse de la manipulation ; les coups de tête, de queue, les sabots qui raclent le sol, le suspens d’un mouvement. Ce travail est presque naturaliste et vient se confronter, justement, à la vision que l’on a du corps du manipulateur. L’émotion et la technique ne se font pas combat, mais au contraire, dialoguent. De plus, on aura rarement vu, depuis les Fables de La Fontaine par Bob Wilson à la Comédie-Française, une telle réussite dans le trouble provoqué par ce corps d’humain surmonté d’une masque d’animal à taille réelle. La force du jeu des cinq acteurs, tous excellents, tient dans le fait que, alors que le masque ne change pas, le moindre geste fait évoluer l’animal qui nous parle.

Grâce à ce texte puissant et à sa mise en scène précise, juste, on se surprend à voir pleurer les buffles. 

Jusqu’au 25 juillet (relâche le lundi) au 11 Avignon à 9 h 45

Crédit photo © Michel Cavalca

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Thomas Cepitelli

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