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Lisette Oropesa : “on chante pour recevoir des applaudissements, pas des récompenses !” [Interview]

Lisette Oropesa : “on chante pour recevoir des applaudissements, pas des récompenses !” [Interview]

26 January 2020 | PAR Denis Peyrat

Depuis notre précédente rencontre, lors de son dernier passage à Paris, la carrière de Lisette Oropesa a explosé. Après une année 2019 où elle a triomphé dans le monde entier, la soprano revient à Paris ; nous l’avons rencontrée pendant les répétitions de la reprise du Barbier de Séville, mis en scène par Damiano Michieletto à l’Opéra Bastille (*). Les honneurs et le succès ne sont pas montés à la tête de la chanteuse américaine, qui reste très lucide sur sa carrière.

(*) Cette interview a été réalisée mi-décembre alors que les répétitions étaient en cours. Plusieurs représentations du Barbier de Séville ont été depuis annulées dans le cadre du mouvement social en cours. Nous souhaitons que la production de Damiano Michieletto pourra être bientôt présentée au public, et que nous pourrons rendre compte de la prise de rôle de Lisette Oropesa dans ces colonnes.

Lisette Oropesa, nous nous étions rencontrés fin 2018 lors de votre venue à Paris pour Les Huguenots et L’élixir d’Amour. Depuis vous avez triomphé dans le monde entier et avez également reçu le prix Richard Tucker aux États-Unis. Quel regard portez vous sur cette année 2019 ?
Ça a été une année triomphale pour moi et j’ai chanté beaucoup de nouveaux rôles : Isabelle de Robert le Diable, Manon de Massenet, ainsi que, pour la première fois en scène, I Masnadieri de Verdi ; enfin, j’ai interprété ma première Traviata en Europe.
Je travaille très dur chaque année et si le public et les critiques me disent : “C’est très bien, bravo !”, je suis contente. Mais si on ne me dit pas bravo, cela ne change rien pour moi.
Je dois travailler sans penser aux prix et aux récompenses car je pense que l’on chante pour recevoir des applaudissements, mais pas pour des récompenses. On ne peut pas savoir qui va gagner et je préfère que la carrière se développe peu à peu et suive son chemin. On se réjouit lorsque la carrière se développe bien et que l’on est reconnu ! 2019 a été une année exceptionnelle surtout pour toutes les opportunités que j’ai eues et qui m’ont fait connaître au public international. Ma prise de rôle dans Manon à New York – qui a été diffusée au cinéma dans le monde entier – a beaucoup joué ; Les Huguenots à Paris a été un moment important car la production était très attendue. Mes débuts à la Scala dans I Masnadieri ont aussi été une étape importante.  

Revenons au Barbier de Séville que vous abordez aujourd’hui à Paris : c’est une production de Damiano Michieletto très contemporaine.
Dans cette production Rosina est une teenager des années 90. Son idole c’est Johnny Depp. Il se trouve que j’ai été, moi-même, une teenager dans les années 90, donc cela me parle. Si la production était située dans les années 50, ce serait moins évident ; mais là je me sens complètement à l’aise.

Le décor est très original…
Oui c’est un plateau tournant avec une maison de quatre étages – même si moi je ne joue que sur deux niveaux. C’est physiquement exigeant : il faut courir, monter les escaliers, parfois pousser des objets. Je chante avec un tuba, je joue aussi du violoncelle : il y a beaucoup à faire. Ce n’est pas de tout repos, mais j’aime bien cette mise en scène. C’est une production ancienne, elle est jouée depuis dix ans mais elle fonctionne toujours très bien. Je pense que le public va l’aimer aussi, c’est une mise en scène très vivante, avec beaucoup d’humour. J’espère que le public va apprécier tout ce travail. Le maestro Carlo Montanaro dirige la production; je n’avais jusqu’alors jamais chanté avec lui. Il vient d’une famille de musiciens et est très à l’écoute : cela m’aide beaucoup.

C’est une nouvelle prise de rôle pour vous : comment abordez-vous ce personnage?
Comme je vous l’ai dit, c’est une teenager des années 90 ; mais elle est très forte. Elle n’est pas fleur bleue ou soumise, elle est plutôt punk ou rock ‘n’ roll. Ce n’est pas une femme fragile. Vocalement, le rôle est un petit peu bas pour moi. C’est écrit pour une mezzo-soprano et dans les duos c’est toujours le Comte qui fait les aigus. Je vais chanter le premier air Una voce poco fa dans la tonalité originale en mi. Le deuxième air, celui de la leçon de chant, en revanche je vais le chanter dans une autre version pour soprano. Il est écrit à l’origine en ré et je vais le chanter en fa. Il y a aussi dans les ensembles finaux quelques échanges de notes avec le rôle de Berta. Avec ces quelques aménagements, cela va aller très bien. J’ai travaillé beaucoup sur la recherche des couleurs de voix que je vais utiliser.

C’est un rôle que vous pensez reprendre dans le futur?
Oui. Même si je ne dirais pas que c’est un rôle que je choisirai préférentiellement, parce que je préfère des rôles vraiment écrits pour des sopranos. Mais j’aime beaucoup ce compositeur, et je voudrais chanter d’autres rôles de Rossini que j’aime bien. J’avais déjà chanté Rosine à l’université, il y a 17 ans déjà, et je suis très heureuse de le reprendre à Paris.

Vous avez récemment donné un concert à l’université de Louisiane : c’est important pour vous de revenir dans votre pays natal et de chanter pour votre public local, qui vous a connu dès vos débuts ?
Oui. C’est très important pour moi, et également parce que j’ai, à cette occasion, fait des Master Classes à l’université. Quand j’ai étudié en Louisiane, il n’y avait que très peu d’occasion de se former comme cela. Il y a eu, une ou deux fois pendant mes études, des chanteurs invités mais seulement pour des conférences ou des cours et pas pour des Master Classes. Je pense que c’est très important quand on est jeune, et pendant ses études, de découvrir ce qui se passe dans le business lorsqu’on aura une carrière. Parfois les enseignants n’ont pas eu une grande expérience scénique et c’est important de pouvoir avoir des conseils sur le déroulement de la carrière : les aspects financiers, comment apprendre des rôles…

Vous avez publié une vidéo en ligne récemment sur ce sujet.
Oui, en effet des jeunes chanteurs m’interrogent beaucoup sur les réseaux sociaux, à la fois sur la technique vocale, la maitrise des langues, sur l’apprentissage des rôles… On me pose des questions aussi sur mon mode de vie : comment faites-vous pour gérer votre temps quand vous voyagez beaucoup, pour faire carrière en étant végane, pour continuer à pratiquer la course ?

En effet vous êtes très présente et très accessible sur les réseaux sociaux.
Oui je parle directement avec tout le monde sur les réseaux sociaux… à part avec les trolls.

Vous avez des détracteurs sur les réseaux sociaux ?
Quelques fois, il y a des amateurs d’opéra très critiques qui sont restés dans la nostalgie et n’apprécient que les chanteurs du passé aujourd’hui décédés. Je comprends qu’on puisse ne pas aimer ce que je fais et je l’accepte et dans ce cas là je ne réagis pas. Je n’aime pas les polémiques.

J’ai eu l’occasion d’interviewer récemment Julie Fuchs qui est, comme Sabine Devieilhe, une chanteuse qui a choisi de concilier sa carrière avec la maternité. Est-ce que vous pensez que c’est plus facile aujourd’hui pour une chanteuse d’avoir un enfant ?
Dans mon cas personnel, si je choisis d’être mère, je voudrais pouvoir m’occuper de mes enfants et passer du temps avec eux. C’est assez difficile quand on est toujours en voyage comme moi. Avec mon mari nous avons fait le choix pour le moment de privilégier la vie professionnelle.
Il y a des gens qui ont vraiment le désir d’être mère et d’avoir une famille traditionnelle. Pour moi ce n’est pas mon désir numéro un. La priorité pour moi, c’était l’amour et j’ai la chance d’avoir Steven avec moi et de partager ma vie et mon travail avec lui puisqu’il m’accompagne au quotidien dans ma carrière. C’est une grande chance de pouvoir l’avoir à mes côtés.

Je voudrais à présent reparler de votre prise de rôle en Manon au Metropolitan Opéra.
J’ai la chance de pratiquer le français. C’est un rôle qui est difficile quand on ne maîtrise pas la langue française car, en plus des nombreux airs, il y a beaucoup de dialogues. J’ai beaucoup travaillé sur des scènes comme celle avec le Comte des Grieux pour laquelle il y a beaucoup de texte. J’y ai consacré beaucoup d’énergie car j’avais peur de me perdre dans tous ces dialogues. Et j’ai aussi été aidée et rassurée par la présence du souffleur, qui est formidable. D’ailleurs il était interviewé lors de la diffusion live au cinéma et on a pu découvrir son travail, qui est essentiel.

Y a-t-il d’autres rôles français que vous souhaitez aborder prochainement ? Lors de notre dernière rencontre vous aviez évoqué Juliette de Gounod : avez-vous des projets pour cette œuvre ?
Pas encore pour le moment ; je voudrais beaucoup le faire à la scène mais je n’ai pas encore de propositions. Le festival de Savonnlina m’avait interrogé après les Masnadieri sur les rôles que je pourrais aborder sur leur scène et j’en avais parlé, mais rien n’est fait.

Je rêverais de vous entendre dans ce rôle et nous avons, en France, un Roméo avec lequel vous feriez un couple idéal : c’est Benjamin Bernheim qui est le digne héritier de Roberto Alagna dans ce rôle.
Oui en effet, j’avais eu l’occasion de chanter Hamlet avec lui ; il y interprétait le rôle de Laerte. Il a beaucoup de succès en ce moment et c’est très mérité !

Nous avons parlé de Manon qui a été diffusé, en live, par le Metropolitan Opera, dans les cinémas d’un grand nombre de pays. Est-ce important pour vous cette démocratisation de l’opéra ?
C’est très important aujourd’hui car l’opéra est un art apprécié dans le monde entier. Et si l’on a la chance de pouvoir assister à une représentation n’importe où pour un prix peu élevé, c’est une très bonne chose. Moi-même, d’ailleurs, j’ai pu assister à une projection à Baton Rouge en Louisiane quand Manon a été diffusé en différé. C’était très agréable et le public local était très heureux de me rencontrer à cette occasion. J’aime bien aussi aller au cinéma pour voir des spectacles d’autres grandes scènes, de Covent Garden par exemple, et entendre ainsi mes collègues. J’aimerais aller plus souvent à l’opéra. J’aime également écouter d’autres chanteurs à la radio.

Pour ces diffusions en live, le Metropolitan fait appel à des chanteurs pour présenter la représentation : est-ce que c’est quelque chose qui vous plairait ?
Oui, j’aimerais beaucoup et d’ailleurs le Met me l’a proposé pour de prochaines représentations mais cela dépendra de ma disponibilité. C’est un travail qui demande de la préparation: il y a même déjà des répétitions pour pouvoir tenir ce rôle au Metropolitan Opera !

Vous avez actuellement une actualité discographique puisque vous êtes parmi les solistes de la Symphonie des 1000 de Gustav Mahler enregistrée en live par Yannick Nezet-Séguin.
Oui, en effet c’est un tout petit rôle, la Mater Gloriosa à la fin de l’œuvre : il n’y a que quelques lignes, mais c’est très difficile à faire. C’est à la fois très exposé et très piano. Et en plus, je l’ai chanté depuis le quatrième étage de la salle et le chef me tournait le dos, mais Yannick a dirigé en se tournant spécialement pour moi et c’était une belle expérience.

Après cette courte prestation est-ce que vous avez d’autres projets d’enregistrement : pourrons nous entendre prochainement un récital complet de Lisette Oropesa en CD ?
J’ai plusieurs projets discographique en discussion. Il y a deux projets d’intégrales d’opéra et il y a aussi des réflexions pour des récitals. Soit avec du répertoire baroque, soit pour un répertoire de bel canto. Je ne peux pas vous en dire plus car aucun contrat n’est signé pour le moment. Je suis contente car enfin on me l’a proposé et je suis consciente que c’est une chance car les contrats d’enregistrement sont difficiles à obtenir. J’avais déjà deux enregistrements réalisés, mais seulement avec piano et je serais très contente de faire un récital complet avec orchestre. Pour le récital de bel canto, j’aurais envie de faire un programme entièrement en français avec Lucia di Lammermoor, Guillaume Tell, La fille du régiment, Le siège de Corinthe. J’aimerais beaucoup pouvoir concrétiser ce projet car j’adore chanter en français : c’est ma langue préférée. J’espère aussi pouvoir bientôt revenir chanter à Paris un rôle en français. Cela pourrait se faire dans une prochaine saison. Je croise les doigts !

Quelles sont les rôles dont vous rêvez pour le futur?
Je rêverais de chanter Les puritains de Bellini mais c’est encore tôt et ce n’est pas encore inscrit dans mon calendrier. Je devrais chanter La somnambule bientôt, et aussi Otello de Rossini. Dans les rôles que je souhaite aborder aussi à la scène il y a Mathilde dans Guillaume Tell de Rossini.

Dans notre dernier entretien vous aviez aussi évoqué la possibilité de devenir un jour metteur en scène : on ne vous a toujours pas fait de propositions dans ce sens ?
Non, mais j’ai beaucoup d’idées ! Par exemple pour Le Barbier de Séville j’imagine une mise en scène dans laquelle Bartolo serait aveugle. Il y a plein de pistes pour cela dans la partition. Par exemple, quand le Comte Almaviva revient la deuxième fois dans sa maison déguisé en soldat, Bartolo ne le reconnaît pas. Et ensuite quand il se présente comme maître de musique, il ne le reconnaît toujours pas, alors que Rosina l’identifie instantanément. Il ne trouve pas non plus le papier qui est tombé du balcon. C’est ma conception et cela colle au comportement de Bartolo : ne le révélez pas, on pourrait me voler l’idée. (Rires)

Pour retrouver Lisette Oropesa sur la toile :
www.lisetteoropesa.com
Twitter: @Lisette_Oropesa
Facebook: facebook.com/lisetteoropesa
Instagram: lisetteoropesa

Crédits photos :

Lisette Oropesa © Jason Homa
Décor Le Barbier de Séville © ONP – Gerguana Damianova
Manon © Metropolitan Opera – Marty Sohl

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Denis Peyrat
Ingénieur exerçant dans le domaine de l'énergie, Denis est passionné d'opéra et fréquente les salles de concert depuis le collège. Dès l'âge de 11 ans il pratique également le chant dans diverses formations chorales, en autodidacte mais avec une expérience qui lui permet à présent de faire partie d'un grand chœur symphonique parisien. Il écrit sur l'opéra et la musique classique principalement. Instagram @denis_p_paris Twitter @PeyratDenis

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