
Une Conf’ pour sauver la Vie : sauvés par le clown
Dans les propositions enthousiasmantes du festival CIRCa, il y avait cette année un spectacle intitulé La Conf’ – Ou comment on est allé là-bas pour arriver ici ?, imaginé par la compagnie La Sensitive. Une proposition de clown intelligente, justement grinçante, férocement drôle, et qui laisse repartir ses spectateurs non seulement sur une bouffée de bonne humeur, mais avec un espoir gonflé d’une énergie joyeuse, ce qui n’était pas gagné vu qu’il ne s’agit pas moins que d’explorer ce que l’effondrement de notre monde signifie pour nous qui l’habitons.
Le SOS d’un terrien en détresse
Le prétexte de base de La Conf’ est l’observation d’un spécimen d’une espèce en voie de disparition : homo sapiens, l’homme qui a tellement pensé qu’il a réussi à mettre en coupe réglée, puis à détruire méthodiquement, tout son environnement. Jusqu’à l’effondrement, radical et définitif. Les scientifiques ont disparu, peut-être est-on dans un bunker sous terre ? En tous cas une assistante est là, assise derrière son bureau au fond de la scène, et elle nous propose un cours d’histoire de la Vie en accéléré, pour en arriver à comment son dernier rejeton a dévoré sa mère.
Entre alors l’intéressé, dans toute sa splendeur. D’abord déboussolé et à peine plus dégrossi que le singe dont il descend, l’homme apprend bientôt à quel point il est doux de se gaver de yaourts et de prendre l’avion. Incapable de s’arrêter, finalement au pied du mur, il panique quelque peu : comment s’en sortir ?
C’est finalement là que La Conf’ nous mène : questionner la situation, imaginer les solutions, si farfelues soient-elles. Quelles sont les voies que nous n’avons pas encore explorée ? Comment freiner avant qu’il ne soit trop tard ?
Du clown savant
Décrire l’anthropocène et l’effondrement du système Terre, il y a plus joyeux. Pour plomber un dimanche après-midi, on ne fait pas mieux – raison pour laquelle, probablement, peu de gens y pensent vraiment sérieusement. Pour faire passer cette pilule, Sylvain Decure et Mélinda Mouslim choisissent le rire – ou, plutôt, parce que le premier est spécialiste du rire, les deux ont pris ensemble le risque de traiter de notre disparition programmée.
Ce qui part d’un discours savant, par ailleurs parfaitement exact, livré par Mélinda Mouslim, impeccable dans son rôle de conférencière-observatrice dépassionnée et sarcastique, devient donc rapidement un bazar déconnant comme on en voit peu.
Les simagrées de Sylvain Decure au début de sa partition, à jouer son rôle d’homme des cavernes en t-shirt, n’étaient pas absolument convaincantes le jour où on l’a vu – c’était la première, et sans doute qu’un mélange de trac et de difficulté à rentrer dans un spectacle très frais expliquaient ce démarrage un peu difficile, où le comique de situation marchait bien mais la qualité de présence de l’interprète n’était pas encore au rendez-vous.
En revanche, quand le spectacle atteint finalement le moment où l’homme moderne s’enfonce dans le tunnel métro-boulot-conso, et que, confronté à l’imminence de la catastrophe, il commence à paniquer, il est impossible de ne pas se laisser emporter. Une galerie de personnages délirants campe quelques-unes des pistes proposées par nos contemporains, pour mieux en révéler l’implacable absurdité. C’est complètement déjanté, mais avec du fond. La salle est mise à contribution, tout le monde rit à gorge déployée, la libération est à la mesure de l’angoisse et des enjeux.
Un spectacle bricolé et qui touche juste
Pour réussir, La Conf’ n’a finalement pas besoin de beaucoup plus que ses trois protagonistes : le modèle d’humain, la femme derrière le bureau, la voix off. Et puis, en sus, la complicité du public conquis. Sur le plateau, il n’est guère besoin de plus que d’une table, une chaise, et un bac rempli de terre dans lequel patauger et creuser. Il faut tout de même mentionner une plante en pot, qui jouera un rôle central dans le dénouement, qui réussit à atteindre une forme de poésie assez délicieuse. Bref, on est dans une certaine sobriété, mine de rien.
La mise en scène et l’écriture exploitent plein d’idées très futées pour mener leur propos. Mêler le discours scientifique au récit qui s’invente est un outil fort efficace, car il sert de contrepoint à la bouffonnerie, en même temps qu’il valide le constat fondamental d’où part le spectacle : on est mal barrés. De même, la scénographie, qui fait largement intervenir le plastique et les gadgets technologique, pose la question de sa propre cohérence et de celle du spectacle vivant en général : peut-on discourir sur la nécessité de sauver le monde, tout dévorant des kilowatts d’électricité et en transportant des kilogrammes de plastique dans des semi-remorques qui roulent au diesel ?
Réveiller le punk (vert) qui est en toi
Dans ce bric-à-brac un peu cheap, le personnage se débat, aux prises avec ses insuffisances, devant l’énormité de la catastrophe qui menace de l’engloutir. Sans tomber dans le piège d’être trop didactique ou trop prescriptif, La Conf’ trace tout de même des chemins possibles. Avant tout, elle libère et décomplexe, elle affirme la possibilité d’agir en agent libre, elle suggère aussi la nécessité du collectif pour sortir de l’impuissance.
Mélinda Mouslim et Sylvain Decure soulignent que leur intention est de stimuler les imaginaires, au-delà des zygomatiques. Ils exposent que le réel est tissé de récits collectifs, qui lui donnent sa forme. Qu’il est temps d’inventer les récits, joyeux et crédibles, qui permettent de désirer demain. Et, finalement, La Conf’ est un excellent point de départ pour cela, car le rire déconstruit une bonne partie des barrières mentales que nous avons érigées pour nous protéger du réel, qui nous empêchent d’agir avec la radicalité voulue.
Un spectacle libérateur, dont on sort avec l’envie de créer une ZAD – ou de quitter son boulot – ou de fonder une coopérative – ou de créer un phalanstère dans un village abandonné – en tous cas de se retrousser les manches, et d’y aller.
En cela, en plus de toutes les larmes de rire qu’on a versé, La Conf’ est une belle réussite.
Avec :
Humain modèle : Sylvain Decure.
Accompagnement sonore et soutien conférence : Mélinda Mouslim.
Voix Off : Marcel Bozonnet.
Régie plateau : Jaïlys Montalto.
Conception et mise en scène : Sylvain Decure et Mélinda Mouslim.
Complicité artistique : Marcel Bozonnet.
Parrainage : Christophe Bonneuil.
Création costume et accessoires : Mélinda Mouslim.
Création lumière : Jérémie Cusenier
Photo : ©Michel Nicolas