Cirque
« TINA », une ode au changement en poésie et en finesse

« TINA », une ode au changement en poésie et en finesse

01 November 2021 | PAR Mathieu Dochtermann

La compagnie belge Théâtre d’Un Jour (Patrick Masset) présentait au festival CIRCa son spectacle TINA, pour « there is no alternative », la célèbre phrase de Margaret Thatcher, dont les artistes proposent justement de détourner le propos. Par le corps, par le cirque, par une musique live très soul, il s’agit de célébrer le changement, de trouver la force d’échapper aux routines. Délicat et poétique.

Ça commence par une forêt. Ça ne se finit pas par une forêt. Sous le regard ancestral d’un homme des cavernes (empaillé?), les 5 circassiens du Théâtre d’Un Jour, flanqués d’une performeuse et de trois musiciens d’exception, construisent et déconstruisent leur décor, leurs routines, leurs rapports. Avec humour et sans un mot – mis à part les paroles des chansons – ils revisitent leur spécialité, les portés, pour tenter de tracer d’autres manières de faire sur scène.

On chemine donc à leurs côtés dans cette recherche. Le tableau initial, qui campe une sorte de forêt stylisée, s’évapore à la faveur du premier noir. Sort un agrès aussi massif qu’il est intimidant, presque antithétique au tableau précédent, cube d’acier poussé et tiré par les circassiens, qui se prête à beaucoup de jeux successifs – équilibres, suspensions, occupation par une colonne à trois – enchaînés les uns à la suite des autres à une cadence soutenue. Et il disparaît aussitôt : décidément, ici, tout est impermanent.

D’essai en tâtonnement, la chanteuse puis les musiciens sont intégrés au jeu corporel, portés de toutes les façons possibles. La qualité de relation entre les circassiens évolue également : on va vers plus de lenteur, plus d’attention, moins de spectaculaire. Aux moments qui chorégraphient les corps répondent des tableaux plus proches de la pantomime – le plus explicite étant sans doute la scène du couple assis sur un banc, qui s’empêche d’abord de bouger pour ensuite trouver une façon nouvelle et dynamique de cohabiter.

Parce que le spectacle n’est pas explicatif, parce qu’il crée des images énigmatiques auxquelles il laisse le temps de persister, parce qu’il s’habille d’un accompagnement musical qui est plus qu’un accompagnement et qui est plus que réussi, il finit par atteindre un endroit de poésie. Le propos n’est qu’un filigrane en toile de fond, ce qui compte est la grâce des corps dans l’espace, qui flottent au gré des notes distillées par les musiciens. Sur la scène globalement sombre, la lumière découpe délicatement les contours des interprètes. Si c’est un poème visuel, c’est un poème qui invite le public à se sentir partie prenante : les interprètes font une partie de leurs entrées par la salle, et la chanteuse dirige très frontalement son chant vers les spectateurs.

Ce n’est pas encore un spectacle parfait, du fait de sa jeunesse, du fait également d’ajustements qui ont dû intervenir dans la distribution. La musique sauve quelques moments un peu faibles en énergie scénique, des explorations un peu trop contemplatives des combinaisons possibles de portés. L’intervention de la performeuse à la fin du spectacle est encore fragile : non pas dans ce qu’elle fait en soi-même, puisqu’elle y réussit très bien, mais dans la continuité de son intervention avec le reste du spectacle – les circassiens reviennent pour la porter, c’est déjà un bon début, mais il y a encore du travail à faire à cet endroit.

Comme le chantait Bowie, et le chante ici Tamara Geerts : « We can be Heroes, just for one day / We can be us, just for one day ». Des héros ordinaires mais admirables, qui ont le courage de se réinventer pour advenir à eux-mêmes. Il suffit d’accepter l’impératif du changement.

Il n’y a pas d’alternative.

On sort de TINA avec le sentiment d’avoir traversé un rêve parfois contemplatif et parfois fiévreux. Même si aucun des procédés utilisés ne renouvelle le genre du cirque contemporain, c’est une proposition intelligente, judicieuse, délicate, une peinture visuelle et sonore plutôt enchanteresse. Et c’est déjà beaucoup.

Chanteuse : Tamara Geerts
Musiciens : Sal La Rocca, Laurent Stelleman.
Circassiens : Marieke Thijssen, César Mispelon , David Mupanda, Julius Bitterling, Wilko Schütz.
Performer : Marula Eugster
Magie nouvelle : Ralf Nonn
Scénographe : Johan Daenen
Ingénieur son et régie son : Jean-François Lejeune
Créateur lumière et régie lumière : John Cooper
Auteur et metteur en scène : Patrick Masset
Direction technique : en cours
Costumière : Gaëlle Marras
Photographe : Fred Limbrée Boermans

H.F. Thiéfaine : « Géographie du vide » : une petite révolution musicale !
Rapprocher fiction et vérité, par le corps et par le son
Avatar photo
Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration