Cirque
“Les quatre points cardinaux…” : une histoire de maison hantée peut être poétique et drôle

“Les quatre points cardinaux…” : une histoire de maison hantée peut être poétique et drôle

13 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Le spectacle Les quatre points cardinaux sont trois : le Nord et le Sud, de la Cie Ni Desnudo Ni Bajando La Escalera, faisait ses premières dans le cadre du festival Spring les 9 et 10 mars derniers. Dans une maison qui menace de ruine, deux hommes se rencontrent dans une atmosphère d’épais mystère : à la croisée du clown, de l’acrobatie et de la magie nouvelle, cette proposition singulière joue sur les codes de l’horreur et du fantastique avec beaucoup d’humour. Efficace et surprenant.

Il était une fois une maison abandonnée

Ce qui captive, immédiatement, au lever du rideau, c’est cette scénographie comme on n’avait plus l’habitude d’en voir sur les scènes de cirque : la reconstitution hyperréaliste d’une maison, ou plutôt de la coupe d’une maison, précise dans ses moindres détails, dans ses moindres textures, jusqu’au plus petit grain de poussière. Une maison éventrée et abandonnée, branlante, encombrée des objets abandonnés par les anciens occupants, qui soulignent d’autant plus la vie qui s’en est retirée. Cette maison, dans une large mesure, s’avérera être un personnage, sinon le personnage central, de ce spectacle un peu insaisissable.

On pourrait avoir peur qu’une scénographie aussi imposante, qui plus est placée très proche du bord de scène, accapare toute l’attention et éclipse le reste du spectacle. Cependant, il n’en est rien, d’une part parce que les deux personnages qui vont venir habiter cet espace sont très forts, chacun à leur façon, et d’autre part parce que la maison abandonnée n’est que l’un des éléments d’un continuum d’étrangeté au sein duquel sa place centrale n’empêche pas d’autres éléments d’exister.

Le clown et l’acrobate, la parole et le corps

Deux personnages vont se rencontrer et habiter cet espace de jeu qui donne l’impression de pouvoir s’effondrer à tout moment. L’un est extrêmement volubile et émotif, et se présente à la porte de la maison avec un jerrican rempli d’essence. L’autre, muet et en proie à des crises qui le font entrer dans des transes pendant lesquelles il se contorsionne d’une étrange façon, semble habiter ladite maison. Ce duo, c’est celui formé par le clown et acrobate Sylvain Decure et par l’acrobate et créateur Andrés Labarca, duo qui va cheminer entre mystère, onirisme, humour et poésie, à la rencontre l’un de l’autre et, on le comprendra finalement, captif de la mémoire de la même personne.

L’acrobatie est ici utilisée pour participer à l’aura d’étrangeté qui nimbe toute cette rencontre, dans une maison folle où le téléphone sonne encore, où les insectes grouillent par vagues, où des étrangers frappent au carreau après qu’on ait raconté l’histoire de leur rencontre. Où l’électroménager survivant est animé de sa propre volonté, où le papier peint bouge, où les étagères se décrochent toutes seules. Le personnage d’Andrés Labarca, maquillé tout en pâleur, ne sort de son indifférence neurasthénique que pour perdre le contrôle de son corps qui se tord, oscille, s’incline à des angles impossibles, se retrouve poussé et tiré par des forces invisibles. Les amateurs et amatrices d’histoires de fantômes en auront des frissons d’aise : l’atmosphère est soigneusement travaillée, par touches subtiles allant crescendo.

Le contrepoint est offert par le personnage de Sylvain Decure, qui sature l’espace d’une logorrhée verbale qui traduit son angoisse – et qui, se faisant, se rend extrêmement drôle, à son insu. Il tente désespérément de comprendre à qui il a affaire, sans doute aussi pourquoi il s’est cru investi de la mission de venir ici, dans la maison où sa propre mère a grandi. En cela, il est comme un double du spectateur, qui, placé devant cette proposition énigmatique, cherche à discerner les indices qui l’aideront à percer le mystère. Le spectacle multiplie les situations absurdes ou surréalistes, qui sont autant d’occasions pour le clown de se déployer.

Une histoire de mémoire familiale sur fond de mystère

C’est une très bonne idée que d’avoir équilibré cette atmosphère onirique et inquiétante en la confrontant au clown certes anxieux, mais tout à fait réjouissant, qu’amène le personnage de Sylvain Decure. Qu’il s’agisse des paroles prononcées par son personnage, des situations dans lesquelles il se met – mémorable crise de panique dans la salle d’eau – ou de son aplomb face à un univers devenu fou – on citera les soirées techno organisées tous les samedis soirs dans le four de la cuisine – il apporte une touche de fraîcheur, mais aussi de fragilité et donc finalement d’humanité.

On ne saurait trop préciser les enjeux de ce spectacle, tellement son sens est ouvert sur les 9/10e de sa durée. On sent qu’il y a, métaphorisé à l’extrême, quelque chose qui joue sur le registre de la mémoire et de l’héritage familial : la maison d’enfance qui ne peut pas brûler, le fantôme qui habite ses murs, le fils qui revient achever le geste commencé par sa mère, tout cela nous ramène à une forme de fatalité mais également au rôle du libre arbitre. Ce personnage qui ne sait pas ce qu’il fait dans cette maison où sa mère a grandi, c’est n’importe lequel ou laquelle d’entre nous qui revisite son histoire familiale en ne comprenant plus rien des enjeux qui animèrent ses ascendants. En filigrane, il y a aussi la question de l’amour, de ce que nous devons à celles et ceux que nous aimons, et au point auquel ces loyautés peuvent nous emprisonner…

A la toute fin du spectacle, le mystère s’éclaircit à la faveur d’un deus ex machina qui prend la forme de la découverte fortuite d’un journal intime enregistré sur bandes. On est presque déçu de cette chute, qui tente d’expliquer tout ce qui précède sans vraiment rien résoudre, au fond, des nœuds narratifs de l’histoire : pourquoi le fils est-il revenu, quelle est la nature de l’être qui habite la maison ? Non plus que cette fin n’esquisse de solution aux enjeux soulignés plus haut. On a un peu le sentiment que le mystère, qui était le moteur du spectacle, est à moitié tué sans que cela ne serve finalement le propos. Reste la chute, attendue, mais qui donne lieu à une très belle dernière scène.

La grande attention à la qualité de la mise en lumière, et une recherche poussée sur le son – on reste impressionné de la scène du passage d’un train, qui donne vraiment la sensation qu’un TGV passe juste derrière le décor – complètent cette mise en scène à mi-chemin entre l’onirique et l’hyperréalisme. Intrigant et drôle, c’est un spectacle d’atmosphère qui donne l’occasion d’un beau voyage.

Les quatre points cardinaux… passera, en ce début d’année 2023, par les lieux suivants :
› 4 mars 2023 / Le Prato, Théâtre international de quartier, Lille (59)
› 16 mai 2023 / Théâtre Dijon-Bourgogne
› 23 mai 2023 / Théâtre La Mouche, Saint Genis Laval (69) dans le cadre du festival utoPistes
› 25, 26 mai 2023 / Théâtre de la Croix-Rousse 69) dans le cadre du festival utoPIstes

GENERIQUE

direction et écriture Lola Etiève et Andrés Labarca
interprétation Sylvain Decure et Andrés Labarca
collaboration artistique Silvio Palomo
scénographie Justine Bougerol et Gabriel Tondreau
construction par les ateliers de la MC93 Maison de la culture de Seine Saint Denis
création lumière Jérémie Papin
création sonore Lola Etiève
chant Jean-Paul Mengin
régie plateau et conception machinerie Flavien Renaudon
remerciements Julian Sicard, Mathurin Bolze, Marc Etiève, Chloée Sanchez, Joëlle Lacanal, Christine Bonnet

Photo © Jean-Claude Leblanc

 

1997, année de mode à Galliera
CommUne Utopie – la vie, la scène , la danse
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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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