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Fériel Bakouri : “Cette scène nationale augmentée me permettait de mêler deux aspects qui me passionnent : la diffusion et le soutien aux artistes à travers la création” (interview)

Fériel Bakouri : “Cette scène nationale augmentée me permettait de mêler deux aspects qui me passionnent : la diffusion et le soutien aux artistes à travers la création” (interview)

14 February 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Depuis 2017, la nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Points communs, est sous la direction de Fériel Bakouri. Son projet ? Relier la culture aux habitants dans toute leur diversité, l’art à un territoire aux multiples visages. Un projet d’envergure qui demande beaucoup d’investissement et une ouverture profonde aux autres.

“Si des artistes ont besoin de grands lieux comme la Scène Nationale pour créer leurs œuvres, les territoires ont également besoin de rencontrer les artistes.” Fériel Bakouri 

 

Pour débuter cette interview, je voudrais revenir rapidement sur votre parcours. Comment en êtes-vous venue à prendre la direction de Points communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise ?

J’ai postulé au poste de directrice du pôle de création du Val d’Oise il y a cinq ans. Au préalable, j’ai travaillé à la MC93 – la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny – en tant que directrice des relations publiques. Je suis ensuite devenue la directrice adjointe au Nouveau Théâtre de Montreuil. Mon parcours s’est donc déployé en Ile-de-France et plus particulièrement en banlieue. 

Je tente depuis toujours de mêler exigence, qualité artistique et lien au territoire. J’ai su que c’était le moment pour moi de créer mon propre projet lors du rassemblement du Théâtre 95 de Cergy et de l’Apostrophe, la scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise. Cette scène nationale se trouvait dans un territoire qui m’inspirait, différent de Bobigny et de Montreuil (même s’il serait bien sûr possible de faire des liens). La seconde couronne est un lieu qui est à la fois la banlieue et la région. Les habitants ne se rendent pas forcément à Paris. 

Finalement, je suis devenue directrice car différents éléments se regroupaient. J’avais envie de développer mon propre projet, c’était le moment pour le faire et surtout le territoire du Val d’Oise m’inspirait fortement. Cette scène nationale augmentée me permettait de mêler deux aspects qui me passionnent : la diffusion et le soutient aux artistes à travers la création. Mais je ne l’aurais pas fait sur n’importe quel territoire, c’est cela qu’il est important de retenir.

Vous avez parlé de votre projet, qui est né à la suite de la réunion du Théâtre 95 et de L’Apostrophe en 2018. Serait-il possible que vous disiez quelques mots sur ce projet que vous avez déployé et qui se tourne vers le territoire et ses habitants ? Que recherchez-vous à travers celui-ci ?

Ce projet était intitulé “Projet culturel et fédérateur pour les habitants du Val d’Oise”. Plusieurs éléments m’ont plu à Cergy-Pontoise. Tout d’abord, c’est un territoire où cohabitent plus de 150 nationalités. Ensuite, c’est un département urbain – avec la ville nouvelle de Cergy-Pontoise – historique et patrimonial. Il s’agit également de l’un des départements le plus jeune de France, avec 40% de jeunes de moins de trente ans. Pour finir, c’est un département où il y a eu le moins de lieux de spectacles vivants labellisés importants. Certes, il existait des festivals et une autre scène nationale mais leur nombre était bien inférieur à celui des autres départements (qui possèdent plus de scènes nationales, de CDN ou de CCN).

Pour réaliser ce projet, j’ai créé trois axes profondément inspirés du territoire. Le premier, intitulé “Génération(s)”, se tourne vers la jeunesse. Il se traduit par la création chaque année de trois temps forts dans lesquels se mélangent à la fois des propositions qui viennent des jeunes et des créations de grands artistes qui questionnent la jeunesse actuelle. Il est primordial à mes yeux que les jeunes spectateurs puissent entrer par eux-mêmes dans un lieu labellisé scène nationale et pas seulement accompagnés par le système scolaire et leurs professeurs. Je voulais transformer cette scène nationale en un lieu où la jeunesse peut se retrouver autour de problématiques de spectacles qui l’intéresse, tout en pratiquant.

Le second axe s’appelle “Art et Paysage” et cherche à répondre à un questionnement : comment faire pour atteindre l’ensemble des valdoisiens de la même manière malgré la taille imposante du département ? Cet axe s’inspire donc de la beauté du département et se tourne vers la création de formes en espace public qui répondent à la singularité du territoire. Nous avons par exemple réalisé un Trek Danse ou encore un jardin participatif. Très rapidement, cet axe s’est transformé dans la réalité en un axe “Espace public et décentralisation”. J’ai essayé de proposer aux maires des villes les plus éloignées de Points communs d’accueillir des formes artistiques qui arrivent au plus près de la population. Finalement, cet axe s’est déployé dans tout le Val d’Oise avec des représentations dans tous types de lieux : foyers ruraux, salles communales, bibliothèques, salles de classes…

Le troisième axe porte le nom “Arts et Humanités”. Dans le Val d’Oise, nous avons la chance d’avoir une  université, de grandes écoles dont une école d’art, un grand nombre d’entreprises et toutes ces nationalités et langues différentes. Cette mixité m’a poussée à proposer des spectacles venant d’ailleurs, des spectacles qui donnent des nouvelles du monde entier. Cette ouverture est importante, elle permet d’éviter le repli sur soi. C’est pour cette raison que j’ai créé cet axe, qui se traduit par un temps fort où j’invite des artistes (metteurs en scène, chorégraphes, musiciens, etc) venus de l’étranger à donner des récits d’ailleurs.

Ces trois axes forment le projet de la scène nationale. A travers eux, j’essaie de revendiquer une programmation qui fait le grand écart entre des propositions populaires et grand public de qualité et des propositions un peu plus exigeantes. Cela est d’autant plus important à Cergy-Pontoise car les habitants n’ont pas à se déplacer à Paris. Ce grand écart devrait se faire dans toutes les scènes nationales.

A ces trois axes s’ajoutent des projets participatifs où les artistes, français comme étrangers, créent des œuvres qui mettent les habitants au cœur de la création. J’ai par exemple programmé le projet listening party de l’artiste islandaise Ásrún Magnúsdóttir durant lequel 30 jeunes du département étaient amenés à se raconter à partir de tubes musicaux qu’ils avaient eux-mêmes choisis. Ces projets participatifs ont pour principale vertu de créer des liens extrêmement forts tout en permettant de participer à une nouvelle aventure.

Justement cette année, vous avez mis en place deux projets de territoire : le projet Grand Ensemble et un second autour du quartier des Louvrais. Avez-vous des attentes quant à ces projets ? Souhaitez-vous mettre en place d’autres projets dans l’année ?

Un projet comme Grand Ensemble est un énorme projet. Il se trouve que Grand Ensemble a une histoire particulière puisqu’il a été reporté avec la pandémie. L’idée est d’avoir un grand projet participatif espace public par an et Grand Ensemble sera ce projet-là. Il a été créé dans les quartiers Nords de Marseille et a beaucoup tourné, y compris à l’étranger. Ce projet mène au concert du 9 juillet 2022 – avec les musiciens de l’orchestre national d’Ile-de-France – avec un travail de fond en plusieurs étapes. Comme les musiciens jouent sur les balcons des habitants pour faire ce concert, il faut créer du lien entre eux, préparer des rencontres. Il est l’aboutissement de la mise en relation que fait la scène nationale entre les artistes et les habitants. Il me paraissait important de mettre en place un tel projet à Cergy-Pontoise et il est évident qu’il n’aurait pas reçu le même public s’il avait eu lieu à Paris.

A ce grand projet d’espace public participatif annuel s’ajoutent des projets moins conséquents tel que Fête ou tous les ateliers participatifs que l’on mène.

Pour continuer avec le territoire et les habitants, Points communs est aussi un lieu qui accueille des artistes en résidence. Ces derniers proposent des ateliers avec les habitants du territoire et des élèves. Ces ateliers mis en place sont-ils étudiés au préalable avec les artistes ? Sont-ils l’une des conditions pour que les artistes puissent être en résidence chez vous ?

Nous avons au total quatre artistes en résidence. Il s’agit de la compositrice et flûtiste syrienne Naïssam Jalal, de la compagnie Les Cris de Paris, de la metteuse en scène Emilie Rousset et du chorégraphe et danseur Volmir Cordeiro. Ces artistes font plus de 300 heures d’ateliers dans l’ensemble du Val d’Oise et sont présents dans des projets au long cours. Volmir Cordeiro accompagnera notamment des étudiants de l’ENSAPC (École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy) qui vont créer des œuvres cofinancées par la Scène Nationale et présentées dans le temps “Arts et Humanités”. 

Je pense que si des artistes ont besoin de grands lieux comme la scène nationale pour créer leurs œuvres, les territoires ont également besoin de rencontrer les artistes. Seul un artiste peut accompagner des étudiants en école d’art dans la création de leurs œuvres. 

Ce pôle de création est une spécificité de notre scène nationale. Les autres scènes nationales ont également des artistes en résidence avec des modes de relation qui leur sont propres. De notre côté, nous en venons même à signer une convention dans laquelle Points communs s’engage à donner des moyens financiers, techniques et d’accompagnement, tandis que les artistes s’engagent à aller à la rencontre des populations du territoire. Cela permet de faire découvrir tout ce qui se cache derrière la fabrication d’un spectacle et la figure de l’artiste. Cet aspect très important du projet s’est particulièrement bien développé pendant le Covid, période durant laquelle nous avons pu accueillir trente compagnies en résidence.

Pour en revenir au Covid, je souhaitais parler de la programmation de Points communs. Cette saison 2021-2022 apparaît comme moins périlleuse que la précédente. La programmation de la saison arrive-t-elle à combiner les spectacles annulés l’année dernière aux nouvelles créations ? 

Cette année est en effet moins périlleuse que l’année dernière puisqu’on a évité la fermeture. Cependant, la crise a eu des conséquences. On se retrouve face à un trop grand nombre de spectacles à programmer, des engagements que l’on décale sans cesse. Nos lieux se retrouvent à surprogrammer en faisant attention aux artistes et notamment aux plus fragiles, c’est-à-dire les plus jeunes. Mais on s’est rendu compte que même les grandes compagnies reconnues avaient des difficultés.

La crise est toujours présente et le variant Omicron nous a poussé à annuler trois spectacles à la rentrée. On a pu en reporter un dans l’année en cours et un l’année prochaine mais bientôt, reporter deviendra impossible. On est très heureux d’être ouverts mais cela demande une très grande quantité de travail de la part des équipes. Pour les artistes, il devient compliqué de faire exister tous les projets.  

Pourquoi le nom Points Communs ? 

Le nom Points communs renvoie au projet artistique dont je vous ai parlé et aux trois axes qui le constituent. Ce projet cherche à réinstaller une relation entre la scène nationale et le territoire. Quant aux trois axes, ils cherchent à rassembler des populations différentes, des cultures différentes ; toutes ces personnes habitant en milieu rural et urbain. Le but est de travailler autour de nos points communs qui touchent à l’artistique, de travailler sur le décloisonnement.   

Pour clore cette interview j’avais une dernière question à vous poser. Est-ce que vous auriez dans les prochains spectacles de la saison un coup de cœur, ou un spectacle qui vous a particulièrement marqué ?

Plus qu’un spectacle, c’est le Festival “Arts et Humanités” du 17 au 27 mars que j’ai envie de promouvoir. Venez découvrir les artistes de ce festival qui viennent des quatre coins du monde, qui sont très peu programmés ailleurs et qui portent des propos extrêmement forts sur le monde d’aujourd’hui. Ils joignent les questions politiques à leur art. Il s’agit de Kat Válastur, Mercedes Dassy, Mónica Calle, Azade Shahmiri, Venuri Perera, Betty Tchomanga, Renzo Martens, Cherish Menzo, Naïssam Jalal et Bonga

 

Visuel : Fériel Bakouri © Manon Jaupitre

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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