Danse
TA’AM comme un langage secret

TA’AM comme un langage secret

10 February 2021 | PAR Lise Ripoche

Sur la scène du Mahj (Musée d’art et d’histoire du judaïsme), quelques pros ont pu assister à la première représentation de Ta’am, un spectacle mêlant musique, danse et chant. A la croisée des cultures juives et arabes, Taam est une initiation à un monde qui se passe entre les signes, la danse venant marquer ce que les silences signifient. 

 

Ce que l’on voit

Sur la scène, seuls sont éclairés les instruments qui attendent dans le silence. Oud et tombak sont les pièces maîtresses de ces natures mortes, calmes, que vient bientôt côtoyer la danse lente de Jessica Bonamy.  Elle valse avec le vide de la scène. Généralement mesurés, les gestes s’emballent parfois, parfois aussi le corps paraît désœuvré, cherchant comment danser ou cherchant une issue à la scène. Puis le calme laisse progressivement place à une sorte d’inquiétude, soutenue par les vibrations métalliques du oud; elle est emportée par ses propres élans, puis de guerre lasse se rassemble, pour un moment tient à peine, pour se laisser de nouveau prendre par des courbes nouvelles, comme des boucles refermées sur elles-mêmes. 

 

Ce que la danse dit

Ta’am a une dimension d’ésotérisme, comme un langage secret à apprivoiser. Pour parvenir à faire dialoguer ensemble musique et danse, cultures juives et arabes, Ta’am initie la rencontre entre la musicalité des Taamim —signes de cantillation hébraïque au cœur de la tradition orale juive—, et les Maqam—système musical arabe et d’orient en général—. A l’origine du projet, il y a la belle polysémie du mot hébreux Ta’am: il désigne le rythme, le goût, le sens mais aussi les signes de ponctuation qui guident la lecture de la Torah. Ce sont eux qui indiquent les accents de la mélopée et permettent la mise en chant des lectures publiques des rouleaux du texte sacré. Comme il s’agit lors de ces lectures de connaître par coeur, et de réciter les textes, les lecteurs-interprètes sont traditionnellement accompagnés de souffleurs, qui aide à la remémoration par la mise en gestes de main rudimentaires de ces signes de ponctuation. Pour donner sens au texte, gestuelle, musicalité et oralité se confortent. Aussi Ta’am veut-il dire tout à la fois ponctuer pour donner rythme, rythmer pour donner goût et goûter pour donner sens. 

Chorégraphié par Jessica Bonamy, ce spectacle interprète à sa manière la réflexion engagée en 2013 par la compagnie Safra sur la danse comme art muet, art d’une poésie silencieuse. Elle travaille à partir de partitions, aussi bien textuelles, musicales que picturales, pour parvenir à la richesse sémantique du mélange des arts. Ta’am est le récit de la rencontre de la musique et de la danse. Les danseuses Amalia Alba et Jessica Bonamy sont soutenues par la musique envoûtante d’un oud, instrument traditionnel d’Afrique du Nord. La musique tonale composée et jouée par Abderraouf Ouertani, repose sur le système musical du maqam, propre à la culture arabe et s’articule la ponctuation gestuelle du Ta’am, qui s’imprègne elle-même progressivement de sa couleur singulière. 

Ce que transmettre veut dire

Ta’am est avant tout un spectacle d’initiation et de transmission. Chorégraphier les signes ta’am, cela veut dire travailler à partir des gestes rudimentaires qui accompagnent la lecture pour composer des mouvements, l’arrêter, l’étendre, l’étirer pour comprendre que le corps interprète toujours déjà ce qu’il cherche à incarner. Travailler la ponctuation, et non le mot, demande de s’attacher non pas au texte mais à son habillage, ce qui l’esthétise et le porte au sens. 

Au fil du spectacle, se dessine le parcours de cette transmission des signes: le corps d’abord recherche le son, à travers l’espace, sur une scène dénudée, dans lequel vibre une sorte de chaos indistinct, de bruit sourd primitif. Puis, une voix s’élève, et soutient les notes de l’instrument; émerge du chaos premier ce son humain, ce signe initial, ce chant. Il s’agit donc de porter les signes pour les transmettre: de l’individuel au collectif, de la main à la bouche et de la bouche au corps. 

Ta’am fait donc oeuvre d’initiation, représente le cheminement par lequel les signes se partagent, aussi bien entre les cultures qu’entrent les arts. La danse ouvre devant nos yeux le monde secret de ses symboles qui soutiennent le sens des textes. 

crédit visuel : ©Rachel Krief 

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Lise Ripoche

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