Swan de Luc Petton : une expérience « ornithochorégraphique »
Après La Confidence des oiseaux, qui avait médusé le public de Chaillot en 2010 en mêlant le vol de geais et d’étourneaux aux pas des danseuses, Luc Petton renouvelle l’expérience avec le plus mythique des oiseaux, le cygne.
Chorégraphe formé au contact improvisation auprès de Steve Paxton à New York, Luc Petton est aussi passionné d’ornithologie. Au-delà d’une prouesse d’oiselier, c’est à une véritable chorégraphie de contact que nous assistons entre les majestueux oiseaux et les jeunes danseuses. Pour arriver à un tel résultat, comme le montre le making of du spectacle sur le site de sa compagnie, il aura fallu tout l’engagement des jeunes danseuses, impliquées dans le processus « d’imprégnation » des oiseaux dès l’éclosion.
Dans une première partie, les cygnes sont noirs, et l’on assiste à des « pas de deux » terrestres ou aquatiques – un bassin transparent court au fond de la scène – entre les danseuses et les oiseaux, manipulés grâce à des appâts. Puis les six danseuses tentent de concert d’ébaucher une chorégraphie aviaire, comme à la recherche des fondamentaux du cygne. Le cygne est aussi majestueux lorsqu’il glisse sur l’eau, qu’il est pataud à terre, et ce sont ces deux pôles que Petton semble avoir voulu explorer : d’une part une déambulation à quatre pattes, entrecoupée de nombreux passages au sol, selon un phrasé spasmodique qui libère chevilles et épaules, et d’autre part une évolution en apesanteur, à l’aide d’un balancier suspendu.
Dans ce qui serait une seconde partie, cinq cygnes blancs évoluent avec cinq des danseuses aux cheveux tressés, autour desquelles une sixième aux cheveux courts, Katia Petrowick, au charisme déjà affirmé, semble composer un vilain petit canard en contrepoint – condamné à se métamorphoser ou à mourir.
Plus qu’une variation vivante sur le célèbre ballet du Lac des cygnes, l’osmose qui s’offre à notre regard est si intense qu’elle se charge d’un érotisme latent qui imprègne toutes les relations en présence : relations avec les éléments (l’air, l’eau, le sol), relations sur le mode du fouissement et des frottements avec les oiseaux, qui se propagent aux corps féminins. Par le truchement de l’animalité, Luc Petton sonde l’érotisme féminin dans ce qu’il a de plus essentiel et archaïque, avant l’apparition de toute polarité masculine.
Le prince Siegfried et Odette étaient bien loin ce soir… Au son des solos inspirés de Xavier Rosselle au saxophone, c’est plutôt l’union sulfureuse de Léda et du cygne qui venait à l’esprit. Et pour finir, sous une rampe de vaporisateurs qui diffusent une bruine éthérée, un clin d’œil aux glissades aquatiques du Vollmond de Pina Bausch, dont Luc Petton avait suivi l’enseignement au Folkwang Tanzstudio.
Visuels © Luc Petton.
Vidéo © Swan, premiers pas. Le Guetteur, Luc Petton et Cie.