Danse
Simon Tanguy et Noé Soulier réiventent la danse au Théâtre de la Ville

Simon Tanguy et Noé Soulier réiventent la danse au Théâtre de la Ville

16 September 2011 | PAR Amelie Blaustein Niddam

A la sortie, la semaine dernière, du spectacle de Sofian Jouini, la question était, comment les 2e et 1er prix du concours Danse élargie pourraient-ils encore plus nous séduire ? La question était mauvaise. La réponse n’était ni dans la quantité ni dans la qualité mais dans la différence. Simon Tanguy pour le deuxième prix et Noé Soulier pour le premier ont juste quelque chose de totalement nouveau. Une soirée belle et rare à ne pas rater au Théâtre de la Ville-Les Abbesses.

Rappel des faits : Danse élargie, c’est un concours imaginé par le Théâtre de la Ville et le Musée de la Danse de Rennes. Les deux lieux aiment les arts pluriels et la performance, ce n’est un secret pour personne. La règle du jeu est simple, trois interprètes, dix minutes, un jury d’artistes internationaux et un accompagnement des artistes lauréats jusqu’à la production de leur spectacle. L’idée est de brasser large, d’où le terme « élargie ». Nous avons assisté à deux sublimes spectacles ce soir. Les montrer en même temps est la preuve même de leur égalité.

Simon Tanguy, captive agonie

Simon Tanguy est clown, judoka et danseur. Son spectacle “Japan” le fait arriver sur scène en samouraï moderne, en costard blanc, pieds nus.  Il danse désaxé décalé, contraignant sans cesse le mouvement naturel du corps. Il offre une danse où la voix est un muscle comme les autres. Il souffle, fort, et chaque respiration lui permet de monter un cran au-dessus. On le regarde se battre contre la mort qui arrive avec la sensation de n’avoir jamais vu de tels pas.

“Japan” est infiniment poétique, captivant, soufflant. Il décrit avec une précision palpable les sursauts d’une agonie jusqu’à s’allonger au sol pour un récit dénué, étonnamment de tragédie. La relation au sol est ici centrale, Simon Tanguy s’y glisse, s’y roule, l’épouse.  Le programme de salle relate une interview où Simon Tanguy se  raconte : ” En octobre dernier, j’ai eu des montées d’angoisse sur la mort. Comme les angoisses d’adolescents. Des moments assez intenses sur le suicide, l’appât du vide, l’oubli de respirer. Au lieu d’éviter d’y penser pendant la création, j’ai décidé d’y plonger”

C’est à cela que nous assistons, pour une petite forme de trente minutes à l’intensité rare.  Dans une proposition  artistique maitrisée, ardue et limpide dans le même temps, il parle de cette peur viscérale en mettant en danse les sursauts nécessaires à la survie. Les moments de déroulés de dos dans un décalage des épaules créant une sensation de ressort et magnifique. On gardera aussi l’image de l’homme en équilibre soutenu par un pan de mur, le pied dans le vide.

Simon Tanguy est un artiste à suivre de prés. Il entre en résidence pour trois semaines au Musée de la Danse, ce qui au regard de son geste dansé apparait comme une évidence.

Noé Soulier, du verbe classique au geste contemporain

Le temps d’un entracte et Noé Soulier entre en scène, seul, caleçon, tee-shirt et chaussette en décliné de gris. Le pire, c’est que le monsieur est sexy accoutré comme cela ! Il s’approche de nous et nous décrit le programme. Nous voilà prêts à assister à un spectacle en trois parties. Toutes sont reliées par le rapport au langage.

“Le royaume des ombres” se partage également en trois. D’abord une leçon de pas où Noé Soulier nous offre son recensement de tous les pas existants en danse classique. Ensuite, il nous propose des impulsions donnant l’impression d’un enchaînement nécessairement inachevé, il finit par un best of des principaux ballets classique du XIXe siècle ! Le tout donne un voir un danseur classique au talent monstre – belle formation au Conservatoire national supérieur de Musique et de Danse de Paris oblige – qui transforme le genre en danse contemporaine – belle formation auprès d’ Anne Teresa De Keersmaeker oblige !

Entrent ensuite quatre danseurs issus du Ballet National du Rhin pour “D’un pays lointain”. Un cours de pantomime s’offre à nous. Ces gestes limpides donnent le sens au récit. Les danseurs se mettent en mouvement en décalé tandis que des voix balancent des mots que chacun exécute. Arrivent les moments où les gestes ne correspondent plus aux mots, où la phrase parlée n’est plus illustrée, naissent alors l’absurde et l’effroi dans une beauté captivante.

La dernière pièce est sans doute la plus dure d’accès car elle ne cherche jamais à atteindre le beau. “Petites perceptions” vient d’un concept développé par Leibniz dans Les nouveaux essais sur l’entendement humain, l’idée, Noé Soulier explique : “Leibniz prend l’exemple du bruit de la mer. Nous entendons le bruit de la mer mais nous n’entendons pas le bruit d’une seule vague. Or le bruit de la mer est composé du son de chaque vague, il faut donc bien que nous percevions sans nous en rendre compte le bruit de chaque vague pour percevoir le bruit de la mer.” Noé Soulier applique ce principe à la danse en recherchant non pas un mouvement mais l’intention du mouvement. Sa recherche s’est portée sur les processus cérébraux donnant lieu à un mouvement. En résulte un trio survolté aux mouvements semblables. Une fois arrivés au bout, on a la sensation d’un tout, étonnamment ordonné alors que la chorégraphie se rapprochait par moment de celle de Simon Tanguy.

Placées d’un bout à l’autre du spectacle, ces deux moments font preuve d’une recherche nouvelle de la tendance, dans la droite ligne des performeurs. Ces deux-là ont déjà intégré les travaux de Charmartz ou Jérôme Bel et donnent à voir une plongée dans les méandres du cerveau.

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

One thought on “Simon Tanguy et Noé Soulier réiventent la danse au Théâtre de la Ville”

Commentaire(s)

  • POTIE

    je suis fasciné par la façon dont nos élites artistiques sont capables de transformer une création en oeuvre d’art… Il est vrai qu’aujourd’hui poser une merde sur un plateau en bois permet à nos élites de s’emmerveiller sur la création artistique, faire des moules de vulves de femme (Jamie McCartney) leur permet de toucher l’extase….
    SIMON TANGUY dans sa création “Japan” a sans nul doute offert à cette élite la possibilité de s’estasier… Dans les danses de rue il y a du rythme,de l’harmonie et du … talent, ce que je n’ai pas trouvé dans Japan. Mais c’est vrai que je ne suis pas l’élite…

    September 17, 2011 at 22 h 38 min

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