
Scarbo, l’autoportrait schizophrène de Manon Parent au festival Faits d’hiver
Le Théâtre de la Ville accueille, à l’occasion du 25e festival de danse Faits d’hiver, le portrait que dresse Ioannis Mandafounis pour et avec la danseuse Manon Parent. Puissant.
Elle est seule, mais semble rapidement être habitée par plein d’autres. Des vivants sans doute quand elle s’approche de nous, en baskets, jupette pailletée et petit haut à trous, tout sourire. Et des fantômes quand, au détour d’un pas cassé, ses yeux s’assombrissent. Ioannis Mandafounis est le chorégraphe de l’improvisation, cela veut dire que dans un cadre précis, le contenu est libre.
Cette liberté est relative, la danse de Manon Parent est musicale, car celle-ci est aussi violoniste, elle est faite de nombreuses ruptures, de contrepoints. Sa danse est une course accidentée, une fuite autant en arrière qu’en avant, jusqu’à en avoir la nausée.
Si la pièce est improvisée, le décor et la lumière sont tous les deux des acteurs bien conscients de la situation. Au fond du plateau blanc, un rang de chaises noires attend des spectateurs qui ne viendront pas. La lumière s’assombrit sans disparaître, dans une subtilité infime.
Ioannis Mandafounis sait ce qu’il fait, c’est un grand chorégraphe. Il vient d’ailleurs d’être nommé directeur artistique de la Forsythe Company, fonction qu’il occupera dès la saison 2023-2024. La partition de Scarbo est donc bien ficelée. Elle est très musicale. Le titre de la pièce est un morceau de Ravel, du piano pur, sans espace, dont Manon Parent s’empare dans sa danse faite d’a-coups. Et puis, le sensible est au cœur de ce spectacle, avec des mots durs qui nous seront dits, et des musiques consolatrices. On entend l’iconique Jesus’ Blood Never Failed Me Yet et on découvre la dernière des Ariettes oubliées de Debussy, sur des paroles de Verlaine (rien que ça). Et maintenant que nous le savons, c’est évident. Il fallait inviter Verlaine dans ce spectacle qui fait se croiser la mélancolie, l’urgence de vivre et la nostalgie. Verlaine qui écrit « les espérances noyées ». Cette formule semble être le fil conducteur de cette danse, comme si Manon Parent avait, en compagnie de Søren Kierkegaard, réalisé que « l’idée de mort est une invite à l’action ».
Jusqu’au 4 février au Théâtre de la Ville. Horaires, lieu et réservation ici.
Visuel : © Jean-Baptiste-Bucau.