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Guilhem Fabre à la Salle Gaveau, un piano généreux et chaleureux

Guilhem Fabre à la Salle Gaveau, un piano généreux et chaleureux

03 February 2023 | PAR Victoria Okada

Guilhem Fabre a — enfin ! — publié son premier disque Bach-Rachmaninov*, deux compositeurs qu’il affectionne particulièrement.  Le 1er février, à la Salle Gaveau bien remplie, il a joué une grande partie du programme du disque, complété par deux cahiers d’Images de Debussy.

uNopia pour être plus près des gens

Pianiste atypique, il sillonne toute la France et l’Europe avec son camion-scène de concert uNopia (lire notre entretien ici). Ainsi, avec des artistes d’horizons divers, il va à la rencontre des gens et propose une autre forme de concert.

Chœur de femmes « Music Chain for Ukraine »

La soirée était à l’image de sa générosité. En effet, dans la première partie, il invite le Chœur Music Chain for Ukraine. Né d’un échange entre la pianiste Natacha Kudritskaya et la cheffe de chœur Alissa Lytvak, le groupe, ouvert à tous, est aujourd’hui essentiellement composé de réfugiées ukrainiennes. La répétition hebdomadaire, commencée en octobre 2022, donne déjà un résultat mûr ce soir-là. Les choristes amateurs chantent cinq pièces ukrainiennes, aidées par quelques membres professionnelles ou semi-professionnelles. Leur prestation, d’une fraîcheur avenante, a été chaleureusement et longuement applaudie.

La grande force de Bach

Commence ensuite le récital. Guilhem Fabre interprète la sixième Partita de Bach avec une liberté saisissante. Étonnamment fluide sous ses doigts, chaque pièce affirme son caractère de danse, mais d’une modernité stupéfiante comme si la musique s’improvisait. En profitant des potentiels d’un instrument moderne, il modèle la sonorité, notamment avec des jeux de pédales savamment mis en place. Il donne déjà un petit panorama de la variété de ses jeux pianistiques dans la « Toccata » initiale.

Ensuite, la « Courante » swingue légèrement sur la main gauche rigoureusement régulière ; il orne la « Sarabande » d’une grande élégance, le « Tempo di Gavotta » est de nouveau jazzy, avant de retrouver la pulsation polyphonique dans la « Gigue » conclusive. La chaleur du son atténue la rigueur du contrepoint pour la rendre infiniment tendre, presque romantique, mais sans excès. L’équilibre entre la précision et la fluidité est subtilement dosé. Le pianiste le réalise avec tout le naturel du monde, sans aucun calcul. Et c’est là, toute la force de son piano, si généreux et si chaleureux.

Debussy et Rachmaninov : deux univers

Changement d’atmosphère avec les Images de Debussy. La sonorité devient plus fondante, plus cotonneuse, à l’aide de bras plus souples, d’un corps plus mouvant. Mais aux moments voulus, la fermeté s’impose avec autorité. Il explore ainsi l’élan irrépressible dans « Hommage à Rameau » ; des pulsions organiques dans le « Mouvement » et les « Poissons d’or » se transmettent, au moment de leurs points culminants, à travers des sons larges qui remplissent l’espace.

Dans la deuxième Sonate de Rachmaninov, Guilhem Fabre explore encore davantage l’élan, en allant chercher le son épais et tellurique au fond de l’instrument. Cette Sonate est une occasion d’entendre toutes les qualités du pianiste, auxquelles s’ajoute une intériorité aiguë exprimée dans le deuxième mouvement. Il a vécu à Moscou cette spiritualité dans l’enseignement de sa professeure Tatiana Zelikman chez qui la musique est « une question de vie ou de mort ». Peut-être est-ce ce sentiment d’urgence qui rend son interprétation extrêmement vivante et alerte.

Ces deux univers très différents ne sont pas contradictoires chez Guilhem Fabre. Il reste toujours fidèle à son intuition dans une construction analytique méticuleuse, conciliant à merveille deux mondes émotionnel et intellectuel.

Il donne deux bis. D’abord, le Prélude en si mineur de Bach transcrit par Alexandre Siloti où prévaut la sérénité, néanmoins teintée de résignation. Est-ce une touche de fatalisme, si présent dans l’art russe ? Ensuite, une pièce de Vivaldi transcrite par Bach. En revenant ainsi au point du départ, la boucle est ben bouclée.

* Son premier CD Bach/ Rachmaninov est publié chez Collection 1001 notes.

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