“sans” de Martine Pisani : danser avec humour et sobriété
Espiègle, Martine Pisani l’est sans aucun doute. Tenante du mouvement postmoderne en danse, la chorégraphe a su inventer une danse fragile, à l’opposé de la virtuosité attendue. Invitée cet automne par la Maison des Métallos pour leur saison thématique “On sape les modèles dominants”, elle propose au public parisien de revoir sa pièce phare créée en 2000, sans.
Nous avions pu le voir avec Undated au Carreau du Temple la saison dernière, les pièces de Pisani sont des pieds de nez aux figures imposées et des petits coups de butoir donnés avec malice et tendresse dans le piédestal sur lequel on a pu mettre la danse. Elles se rapprochent, à force de déséquilibres savamment orchestrés, de notre vulnérabilité. Dans une quête du mouvement sans fin, les danseurs tâtonnent, se frôlent, se heurtent : tout cela fait partie de la danse qu’on peut voir aussi sur scène. C’est ce à quoi nous autorise la compagnie Martine Pisani. Le spectateur n’est pas habitué à voir les accrocs, les approximations, mais ici, tout est visible. Sous nos yeux se déploie un ballet humoristique, où le langage des émotions est roi. Créant ainsi de la complicité avec le public, les interprètes avec lesquels la chorégraphe française travaille au long cours s’autorisent le jeu, comme au théâtre, mais de façon encore plus ludique et instinctive peut-être.
Ils sont trois. Trois hommes, pour certains aux cheveux poivre et sel, habitués donc à interpréter sans. Ce qui signifie danser sur une pièce spécifiquement conçue “sans histoire, sans lumière, sans décor, sans costume, sans musique, sans cause et sans conséquence.” Une façon sans doute de revenir à l’essence de la danse. Pour Martine Pisani, la réponse est là : son essence est dans le jeu. Et le public aussi s’amuse. Il est rare de voir des pièces de danse contemporaine provoquer l’hilarité générale dans le public et pourtant, c’est le cas avec sans ! Les spectateurs rient de bon cœur et sans arrière-pensées aux chutes, revers, attentes déjouées, ou dialogues incontrôlés à la Beckett, en plusieurs langues, traduits avec des variations par l’un ou l’autre, une façon aussi de faire voir avec bienveillance nos incapacités fréquentes à communiquer entre nous…
Nous sommes là, dans le moment présent, rendus pleinement alertes à l’infime, au ténu, à ce qui paraît à première vue être de peu : un haussement de sourcils, un geste esquissé puis contenu, une intention à peine dévoilée dans le mouvement. Cependant, malgré un aspect au premier abord anecdotique, les pièces de Pisani sont pleines de profondeur dans le sens où elles nous ramènent tout simplement à notre humanité, avec toutes ses maladresses, sans fioriture ni conceptualisation. En somme, sans est une pièce sans mise en scène, sans accessoire, bref sans artifice. En cela, elle nous pousse à plus de simplicité, nous rend meilleurs en quelque sorte, plus empathiques et aussi plus enjoués. Un beau défi pour la danse contemporaine !
Toutes les informations pratiques sont à retrouver sur le site de la Maison des Métallos.
Visuel : © Srdan Mihic