
“Romances Inciertos, un autre Orlando” : le talent androgyne de François Chaignaud règne sur Avignon
Au troisième jour, la beauté explosa et se répandit sur le Festival d’Avignon, le messie était travesti et la musique ancienne. Non, ce n’est pas mystique, c’est réel, oui, ça a eu lieu et ça aura encore lieu. L’immense danseur et chanteur François Chaignaud a simplement transfiguré le Cloître des Célestins.
[rating=5]
Romances Inciertos, un autre Orlando nous installe en Espagne, à l’époque moderne, juste après les conquêtes. Ils sont quatre musiciens, assis, deux par deux, aux pieds des deux platanes qui encadrent le plateau du sublime cloître, lui médiéval, des Célestins. François Joubert-Caillet et Robin Pharo (violes de gambe en alternance), Jean-Baptiste Henry (bandonéon), Pere Olivé (percussions historiques et traditionnelles) et Daniel Zapico (théorbe et guitare baroque) jouent et réactivent les airs anciens. Puis apparaît Chaignaud en Doncella Guerrera, casqué de bois, pantalon bouffant.
Sur pointes pour Dub Love, dans les pas d’Isadora Duncan pour Danses libres, sur le dance-floor de Altered Natives’ Say Yes To AnotherExcess – TWERK, morte de désir face à la moto pour Radio Vinci Park, Chaignaud est un historien du mouvement. Il enquête sur tous les pas possibles, et particulièrement les plus populaires. Ici, il s’intéresse à un corpus qui traverse la culture espagnole. Aucune volonté ici de raconter cette histoire, ni de la livrer avec chronologie.
Romances Inciertos est une affaire d’apparitions magiques où la musique envoûte et transperce. Les boucles se font et nous enveloppent. Le danseur est ici chanteur. On le savait, ce que l’on savait moins c’est qu’il avait atteint ce niveau de chant. Voix de femme, voix d’homme, on se casse la gueule, impossible de savoir… L’androgynie est à son climax et la référence à l’Orlando de Virginia Woolf très nette. Les titres arrangés par Nino Laisné nous font voyager sur plusieurs continents et plusieurs cultures. On entend une musique juive “Hija mia, mi querida” ou le tube flamenco “La Tarara”.
Une bombe, une merveille, un pur chef-d’œuvre
Chaignaud est un interprète hors norme à la physicalité très forte, et ici, il le prouve encore. Juché sur échasses ou talons de 12, il ne chute pas, il tourbillonne, impose un centre de gravité solide où les épaules sont le moteur d’un corps qui se penche loin en arrière pour entrer dans la vrille. Les costumes sont magnifiques, le maquillage est dément, les ongles sont très longs et peints. Chaignaud est la plus belle des créatures et Romances Inciertos est un spectacle absolument parfait qui grave des images rétiniennes. Jamais on oubliera la figure de San Miguel dans sa jupe soleil qui passe de jeune fille empêchée à toréador. C’est une pièce à rendre fou, où l’on bloque sur des détails, sur ses yeux ultramaquillés, son châle brodé….
Cabaret d’aujourd’hui, conte populaire éternel. On ne sait pas. Ce que l’on sait c’est que le Cloître des Célestins semble avoir été construit pour Chaignaud. Une bombe, une merveille, un pur chef-d’oeuvre. A voir à Avignon jusqu’au 14 juillet puis à Chaillot du 18 au 21 décembre.
Tous les articles de la rédaction à Avignon sont à retrouver ici
Romances Inciertos, un autre Orlando – François Chaignaud et Nino Laisné –
Visuel : ©Nino Laisné