
“Play”, le pas de deux de Sidi Larbi Cherkaoui et Shantala Shivalingappa : un succès non démenti
Sidi Larbi Cherkaoui fait partie de cette génération de chorégraphes flamands qui savent prendre des risques, tel Jan Martens. En compagnie de la danseuse de kuchipudi -danse traditionnelle d’Inde -, Shantala Shivalingappa, il a repris dans le cadre de “Paris l’été” cette pièce unique, renversante de beauté, créée en 2010 sur une idée de Pina Bausch.
Dans une mise en scène qui paraît au premier abord hétéroclite, les deux danseurs et chorégraphes issus de formations et de cultures différentes s’adonnent à un pas de deux plein de grâce, au milieu des musiciens, présents sur scène. Elle-même chanteuse et musicienne, Shantala Shivalingappa annonce la couleur dès les premiers pas. Précise, fluide, magnifiquement maîtrisée, sa danse lui permet de jouer avec le chorégraphe formé à l’école bruxelloise d’Anne Teresa De Keersmaeker, P.A.R.T.S.. Cet anversois d’origine n’en est pas à sa première collaboration hors des sentiers battus de la danse contemporaine : il a repensé le tango avec “Milonga” et auparavant travaillé avec le chorégraphe londonien Akram Khan, formé au kathak indien, comme on a pu le voir dans “Desh“… Les lignes de continuité de son style se décèlent dans ce type d’affinités a priori surprenantes. Shantala Shivalingappa, formée à la danse traditionnelle indienne par sa mère s’est elle aussi aventuré hors de sa zone de confort. Son talent et sa curiosité l’ont ainsi menée à travailler avec des monstres sacrés : Maurice Béjart, Peter Brook ou bien Pina Bausch. Elle a depuis fondé sa propre compagnie.
Le titre de cette dernière création de Cherkaoui et Shivalingappa, “Play” fait état de sa dimension de “jeu”, omniprésente, aussi bien dans la forme que dans l’esprit. Si “Play” prend des allures de parade amoureuse, elle revêt par ailleurs des allures d’affrontement. Les deux artistes se mesurent ainsi lors d’une partie d’échec, dès la première séquence du spectacle. Le dispositif vidéo surplombant leur table de jeu permet de visualiser ce qui se passe, via un écran. Mobilisant aussi bien l’enregistrement live que la tradition des marionnettes, la scène devient dès lors un véritable terrain de jeu. Plus encore qu’un terrain d’expérimentation, les deux artistes semblent trouver sur le plateau une façon juste de déployer leur personnalité, dans ses facettes les plus diversifiées. Ainsi, l’on ne s’étonnera pas que Cherkaoui entonne, les yeux bandés, éperdu d’amour, dans un moment cruel et ironique un tube en anglais ou bien que Shivalingappa donne au public une conférence en français sur l’art de méditer… Tenue de bout en bout par l’énergie de la danseuse et chorégraphe indienne qu’elle sait communiquer à Cherkaoui et aux musiciens, “Play” offre une magnifique leçon de danse, au-delà des différences de tradition. La beauté seule conserve sa place sur scène, par la grâce du geste juste.
Pour ceux qui n’ont pas pu profiter des dates parisiennes, vite prises d’assaut, “Play” sera rejouée au printemps prochain, le 9 mars, au CC De Werf à Aalst, en Belgique. Plus d’informations ici.
Crédit photo : © Koen Broos / Festival Paris l’été