
Nororoca, la vague Lia Rodrigues déferle sur la Norvège
Lia Rodrigues est devenue en moins de 5 ans la chorégraphe la plus à suivre à l’international. La brésilienne est en même temps artiste associée à Chaillot et elle fait l’objet d’un portrait très très singulier au Festival d’Automne. Pour Nororoca, sa nouvelle création, elle invite Carte Blanche, la compagnie nationale norvégienne, à entrer dans son mouvement aux allures très déconstruites, mais aux allures seulement. A voir jusqu’au 13, il reste de la place.
Donc le Festival d’Automne consacre un portrait à celle qui a installé sa compagnie dans une favela, à Maré. Et elle se sert depuis le début de cette opportunité pour faire entendre à Paris les noms de Marcela Levi et Lucía Russo, Luiz de Abreu, Cristina Moura ou Marcelo Evelin, des noms que nous n’avions jamais écrits dans Toute La Culture. C’est dire si ce portrait fonctionne. Il ouvre sur des univers qu’on ne connaissait pas. Pour Nororoca, c’est un peu différent. C’est Lia elle-même qui est aux commandes, mais encore une fois, dans un esprit féroce d’ouverture, elle met au plateau les danseurs de Carte Blanche: Aslak Aune Nygård, Adrian Bartczak, Timothy Bartlett, Caroline Eckly, Vilja Kwasny, Nadege Kubwayo, Dawid Lorenc, Max Makowski, Daniel Mariblanca, Ole Martin Meland, Anne Lise Rønne, Tilly Sordat, Mathias Stoltenberg et Lin van Kaam.
Et c’est donc logiquement que nous sommes plongés dans l’univers à la fois burlesque, monstrueux et théâtral de l’écriture de Lia Rodrigues. C’est le bordel, mais un bordel de tous les diables ! Ils arrivent en bloc, figés, portant à bout de bras un bric-à-brac pas possible : table, tongs, câbles, et du tissu, du tissu, du tissu et encore du tissu ! Et bien évidement, avec la Furia qu’on connait bien, ils envoient tout valser bien loin. Commence alors une danse frénétique, qui marche souvent par deux, où les corps glissent les uns en dessous des autres, les uns entre les autres, les uns sur les autres, ça fait comme une tempête. Le titre du spectacle, Nororoca fait référence à un mot, Pororoca. Et en 2009, Lia Rodrigues avait composé une pièce qui portait ce nom qui n’a pas été donnée en France. Ce mot désigne, nous dit le programme, “en Tupi (l’une des 150 langues indigènes parlées au Brésil) un phénomène naturel créé par l’entrée en contact de l’eau du fleuve Amazone avec l’eau de la mer. Cette rencontre violente, capable de faire tomber les arbres et modifier les rives du fleuve, est néanmoins un processus fragile issu d’un équilibre précaire des éléments de la nature”.
Alors, comment faire se rencontrer des corps individuels de façon collective, avec de la violence, mais aussi de l’amour, beaucoup ? En portant attention à l’autre. Basique. Pas si basique ! Nororoca rappelle qu’il faut se regarder, s’écouter, sinon on tombe. Et Lia adore les portés à l’envers, comme dans les peintures de Baselitz, la tête en bas. Dans la pièce, qui fonctionne vraiment comme une vague, s’alternent des moments de grands mouvements désorganisés, personnels, qui viennent se rassembler, comme par miracle, dans une ligne verticale où en face à face, abdomen contre abdomen, les danseur·euses ondulent intensément.
On réalise à la fin que le spectacle est un voyage qui ira de jardin à cour. Entre, il se fige des images comme seule Lia sait les construire, qui servent à comprendre le travail. Où des gestes répondent à d’autres. On aura vu hier se forger un troupeau comme des brebis dans une pénombre par exemple, et on ne l’avait pas vu venir.
Ce qui rend Nororoca encore plus puissant c’est la sensation qu’il pourrait se donner n’importe où. La pièce est légère paradoxalement. Les interprètes sont le rythme, ils sont les voix. Il n’y a pas de musique. Le souffle est intact, et il est puissant. Nororoca se dévore, avide. On devient fou à devoir choisir de regarder tel ou telle car chacun est si différent de l’autre, et tous viennent nous chercher du regard… ou de langue ! Heureusement, Rodrigues, avec un humour fou, nous donnera l’occasion de les scruter lentement.
C’est libre, cela peut sembler idiot de l’écrire comme ça. C’est libre et cela montre que justement, pour être libre, cela demande une dose énorme de conscience de ses propres limites pour devenir surpuissant.
Au Théâtre National de Chaillot jusqu’au 13 novembre.
Visuel : “Nororoca” de Lia Rodrigues © Yaniv Cohen / Carte Blanche