Les Trisha babies à la Grande Halle de la Villette
Les élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) fêtent Trisha Brown. Et c’est en ligne sur Arte replay.
Il suffit de lire l’affiche pour comprendre qu’ils seront au moins 100 ; pas toujours, pas tous au même moment, mais l’idée de cet hommage à celle définie ici comme une figure centrale de la danse post-moderne est bien d’explorer tous les aspects et potentiels de la chorégraphie. C’est le danseur Dai Jian qui inspire les combinaisons d’extraits des pièces de Trisha avec qui il a dansé à New York quasiment jusqu’aux dernières années de la vie de la chorégraphe, en 2017.
Équilibre et suspension.
Dont acte. On commence doucement, avec les plus jeunes pour montrer l’enjeu crucial de la déconstruction des codes spectaculaires. Les petits sont comme des grumeaux qui ondulent sur le plateau, cherchant une connexion générale, avec quelques-uns, avec un support, avec le groupe entier. Très vite se pose la question de l’équilibre, de la suspension. Comment s’abandonner, comment tomber, comment et pourquoi faire confiance à l’autre ? Tout cela traverse le ballet silencieux car il faut bien du silence pour percevoir en quoi le mode l’exercice est tout aussi passionnant que la performance du spectacle. On suit donc tout cela avec attention, en remarquant au passage ce que souligne plus particulièrement la chorégraphe : ces petits bonds enroulés, ce sautillement électrique, cette lenteur dans laquelle le geste finit par puiser son inspiration.
Persistance plus qu’endurance.
Puis vient l’incident, la mise en scène du scandale. Tandis que sur le plateau les corps se délient, bien échauffés il est vrai par une première partie finalement propédeutique, voilà que l’on entend au loin le son d’une fanfare joyeuse. On n’ose y croire, mais celle-ci se fait plus présente un peu comme si les voisins organisaient une fête à quatre heures du matin alors que nous sommes en plein rêve de Trisha. Les élèves continuent, imperturbables. On pense à cette remarque d’une ballerine du Bolchoï répondant à un journaliste occidental au détour d’une tournée à Moscou, « les révolutions vont et viennent, mais nous serons toujours là à faire nos battements tendus». N’est-ce pas cela l’autre leçon de la danse ? Plus que l’endurance, la persistance, la dénégation certes, mais aussi le courage.
Quelque chose derrière la porte.
La fanfare occupera l’espace sonore une bonne vingtaine de minutes et ce n’est pas tout à fait un incident. En fait, il s’agit des étudiants du département jazz et musiques improvisées du CNSMDP qui rejoindront les danseurs sur scène pour une dernière partie, cette fois musicalisée. L’idée était sans doute de montrer « qu’il se passe beaucoup de choses en même temps à la Villette » comme me le fera remarquer un membre du personnel. Mais si la musique s’introduit subrepticement, c’est aussi peut-être que venue d‘un endroit magique, inaccessible a priori, elle se sent appelée par les mouvements silencieux de ceux qui dansent. C’est un peu le fantôme de Georges Bataille qui resurgit ici en plein Trisha Brown. Quelqu’un, quelque chose derrière la porte qui s’impose sans jamais l’emporter, mais sans non plus disparaître, brisant le temps d’une séquence ce que nous pensions irrémédiablement ordonné.
Informations pratiques
Coréalisation La Villette – Grande Halle (Paris)?; Festival d’Automne à Paris
Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels?
Ce spectacle est retransmis en livestream sur ARTE. Concert le 4 décembre et restera disponible pendant plusieurs mois sur arteconcert.com
Visuel : affiche de l’évenement