Danse
Cinédanse : Maurice Béjart vu par Louis Cuny

Cinédanse : Maurice Béjart vu par Louis Cuny

22 July 2021 | PAR Nicolas Villodre

Les problèmes rencontrés actuellement à l’école de danse de Béjart qui a dû fermer ses portes, provisoirement on espère, ne doivent pas faire oublier l’apport considérable du chorégraphe marseillais, à commencer par une de ses œuvres les plus emblématiques, Symphonie pour un homme seul (1955). Louis Cuny filma ce ballet en train de se faire ou presque, ainsi que quelques autres, en 35 mm avec le procédé Eastmancolor.

Les ciné-ballets de Louis Cuny

En 1988, Hélène Cuny, veuve du réalisateur Louis Cuny (1902-1962), mit généreusement à notre disposition une copie 35 mm de Ciné-ballets de Paris. Montés ensemble pour pouvoir plus facilement être exploités en salle, ces courts-métrages d’une quinzaine de minutes chacun ont été tournés en studio et, pour certains, en extérieur. Basés sur des chorégraphies de Derek Mendel, Dirk Sanders et Maurice Béjart, interprétées par les Ballets de l’Étoile de Jean Laurent, ils ont pour titres : Les Amoureux de la SeineLa Belle au boaL’ÉtrangerPrélude à la danseRécréation et Symphonie pour un homme seul. Les danseurs, pour la plupart devenus célèbres, ont pour noms Tessa Beaumont, Michèle Seigneuret, Marie-Claire Carrié, Tania Bari, Janine Monin, Danielle Darmance, Michelle Nadal, Antonio Cano, Gérard Ohn, Max André, Daniel Astier, Serge Pourny, Jean Cazenave, Attilio Labis, Jean Guélis et, naturellement, les chorégraphes eux-mêmes.

S’adressant aux Jeunesses musicales de France en 1958, Cuny observe que le réalisateur de films de danse “a le pouvoir de choisir et de mettre “l’accent” sur un geste, une attitude, une expression, avec une telle force que cet “accent” est immédiatement perçu du premier au dernier rang et provoque chez le spectateur un choc émotionnel qui le fait participer à l’action en même temps qu’il donne à la danse une nouvelle dimension”.  Les ciné-ballets sont la suite logique, et en couleurs, des cinéphonies produites au milieu des années trente par le musicologue Émile Vuillermoz, des courts-métrages de la série “March of Time” réalisés en 1952 par Jean Benoit-Lévy pour la télévision américaine. Ils anticipent d’une certaine façon sur les films que Dominique Delouche consacra dans les années quatre-vingt aux étoiles de l’Opéra de Paris et à la transmission du répertoire classique et néoclassique.

Symphonie concrète

Le court-métrage Symphonie pour un homme seul fut réalisé dans les studios de musique concrète de la R.T.F. et, par voie de conséquence, innova en faisant usage de la musique électro-acoustique. En 1959, à Salzbourg, Louis Cuny apporta des précisions sur ce ciné-ballet qui peut être considéré comme historique : “Si au début (…) l’alchimie des sons de la musique concrète, composée par mes amis Pierre Schaeffer et Pierre Henry, peuvent tout d’abord surprendre, ils se sont imposés à Maurice Béjart et à moi comme seuls assez puissants pour produire l’envoûtement, le climat de violence, le choc émotionnel susceptible de traduire la tragédie de l’Homme voué à la solitude dans un monde de robots sans humanité ! Ici : pas de décor. Seule la lumière colorée crée les différents climats psychologiques.”

Maurice Béjart fut avec Janine Charrat un des pionniers en France à avoir recouru à la musique électronique dans son œuvre. Celle-ci n’est pas pour autant totalement abstraite – la composante narrative la date ou la fait un peu dater. Mais on découvre ici aussi Béjart danseur – danseur et imberbe – aux côtés d’une Michèle Seigneuret épatante, moulée dans son académique noire telle Musidora, les cheveux coupés court à la manière de Zizi Jeanmaire dans Carmen. L’enthousiasme de Maurice Béjart, qui était par ailleurs cinéphile, le poussa plus tard à passer derrière la caméra et à réaliser lui-même deux très bons films de danse, Le Danseur (1968) et Le Sacre du printemps (1970), cela avant la vogue des chorégraphes-cinéastes (Pina Bausch, Bouvier-Obadia, Régine Chopinot, Philippe Decouflé, etc.). Symphonie pour un homme seul fut sélectionné au festival de cinéma de Venise de 1956 et primé, un an plus tard, à celui de Rio.

Visuel : affiche des Ciné-ballets de Paris de Louis Cuny.

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Nicolas Villodre

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