Théâtre
Contrepoint : réflexions sur Samson de Brett Bailey

Contrepoint : réflexions sur Samson de Brett Bailey

22 July 2021 | PAR Eriksen

Le Festival d’Avignon nous a proposé un spectacle coup-de-poing venu d’Afrique du Sud : Brett Bailey y explorait le rite chamanique en tant qu’outil politique, en transposant au contexte africain le mythe de Samson, héros juif révolté contre les philistins. Un spectacle clivant qui appelle un contrepoint à une première critique sur toutelaculture.com.

Ce Samson africain noir est porté par les forces telluriques. L’Afrique du Sud est la zone phare de la peinture rupestre africaine subsaharienne : remontant au paléolithique récent, elle avait pour objet la communication avec le monde des anciens, et c’est de cette terre et du lien avec ces ancêtres dont nous parle Brett Bailey. Samson, ici incarné par Elvis Sibeko, acteur et chaman lui-même, est guidé vers la transe par un autre chaman, au corps difforme. Les hésitations, l’agitation fébrile du chaman et les vomissements de Samson donnent un effet de réel certain à l’ensemble, sans pour autant valider l’idée d’en faire un spectacle. Néanmoins une sève ancestrale, venue de cinq générations plus tôt d’après Brett Bailey, entend fonder ici la légitimité du héros à agir, à combattre et à tuer.

Face à lui un pouvoir blanc ridicule : white faces, image inversée des blacks faces des années 1930, boudinés dans des combinaisons matelassées, si veules qu’à peine on frémit quand Samson les exécute d’une balle dans la tête. Ce pouvoir blanc est colon, esclavagiste, capitaliste, et même croisé, ce qui renforce l’intemporalité de sa vilénie. Brett Bailey ne lésine ni sur la violence de Samson pour éliminer le pouvoir blanc, ni sur la violence de celui-ci pour se conserver, notamment dans une scène dans le noir total où Samson hurle pendant de longues minutes sous la torture.

Si Brett Bailey a adapté le scénario du mythe à son propos, il n’en a en revanche pas atténué la misogynie dans sa mise en scène. Les femmes y sont servantes ou traitresses. Formellement, l’instrument de la traitrise de Dalila est la beauté du chant occidental (en l’occurrence l’Aria de l’opéra Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns magnifiquement interprété). Le final verra l’effondrement de deux monolithes en feu aux airs de tours jumelles.

Dans la conférence de presse du festival, Brett Bailey explicite clairement son but en pointant les oppressions colonialistes du présent (Afrique du Sud, Israël, Syrie, Chine, etc.), tout en appelant à la réparation : « If we don’t look after, acknowledge, or listen to these people who have been marginalized or oppressed for so long, we’re gonna be in deep deep trouble. »

(Si nous ne nous occupons pas, ne reconnaissons pas, n’écoutons pas ces personnes qui ont été marginalisées et opprimées pendant si longtemps, nous allons avoir de gros gros problèmes »)

Nul doute sur la nécessite absolue de reconstruire une relation équilibrée entre les descendants d’un Occident esclavagiste et d’une Afrique meurtrie. Sans doute cela passe, pour le peuple africain d’origine, par un appel aux forces ancestrales, et c’est la meilleure partie du spectacle. Mais pour le reste, pour cette haine moulée sur la figure de l’ennemi judéo-christiano-capitaliste, on peut douter du moindre désir de reconstruction de la part de ce metteur en scène sud-africain blanc, rongé d’une culpabilité occidentale fondamentale qui oublie que l’Occident a aussi marqué l’histoire en abolissant l’esclavage de son plein gré, ce qu’aucun peuple dominateur n’avait fait avant lui. À l’heure où personne ne peut plus parler au nom de ce qu’il n’est pas, où les écrivains blancs ne peuvent plus traduire les écrivains noirs, on s’étonnera de l’absence de réaction provoquée par un metteur en scène blanc qui parle d’esclavage. Qui plus est pour en instrumentaliser la douleur à des fins politiques en y mêlant pêle-mêle, les tours jumelles, les croisés, le peuple juif et l’œil des francs-maçons, etc. On atteint ici la forme la plus aboutie du néo-colonialisme universaliste prescripteur. Quelles que soient les qualités formelles du spectacle, elles s’effacent devant le caractère contestable du fond. Que Brett Bailey souhaite sciemment faire surgir la lave sous la fracture noir-blanc ou qu’il soit simplement pétri de haine de soi occidentale, il résonne si bien avec l’intelligentsia théâtrale festivalière, qu’il n’y a pas lieu de s’étonner de sa présence à Avignon.

Et pour lire l’avis 100 % opposé, c’est ici !

Le spectacle était présenté au Festival d’Avignon du 6 au 13 juillet

Visuel : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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Eriksen

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