
Artifact, ou le ballet selon William Forsythe
Créé l’année de sa nomination comme directeur artistique du Ballet de Francfort, Artifact demeure un jalon dans la carrière du « plus européen des chorégraphes américains ». Il est interprété par le Ballet Royal de Flandre, que dirige Kathryn Bennetts, spécialiste du répertoire de William Forsythe.
Revoir ou découvrir Artifact aujourd’hui, c’est revenir aux sources du ballet. Comme Forsythe l’a clairement énoncé, « Artifact is a ballet about ballet. » Le ballet compris comme un spectacle total qui exploite tous les dispositifs scéniques en présence, des coulisses au rideau qui s’ouvre et se ferme à loisir, en passant par les trappes qui percent la scène, et surtout par l’éclairage. Les lumières réglées par Forsythe lui-même sont à elles seules un acteur majeur de la pièce : elles permettent au chorégraphe de souligner ou d’effacer au contraire le corps de ses danseurs, tel un véritable tailleur d’ombres, que l’obscurité n’effraie pas.
Autre élément saillant chez Forsythe, la virtuosité qu’il impose à ses interprètes : la complexité des enchaînements, les multiples lignes de force tracées, les nombreuses variations dansées à l’unisson, et surtout la vitesse, parfois poussée à la limite de la perte d’équilibre, en font une œuvre exigeante tant sur le plan physique que sur celui de sa transmission. Sans oublier le rapport viscéral avec la musique.
Et c’est peut-être là que réside le caractère fondamentalement européen du style Forsythe : la deuxième partie du ballet se déploie dans une harmonie totale avec la Chaconne en ré mineur de Bach, grâce à un travail de précision proche des recherches menées par la chorégraphe flamande Anne-Teresa de Keersmaeker. Articulant morceaux classiques, compositions contemporaines ou collages sonores bricolés par Forsythe, la partition musicale est un véritable pilier sur lequel repose la structure de la chorégraphie. Un travail radicalement différent d’un Merce Cunningham, qui s’efforçait quant à lui de découpler autant que possible la danse de la musique qui l’accompagne.
À quoi reconnaît-on une œuvre majeure ? Peut-être à sa capacité à susciter de nouvelles interprétations selon les époques, à renouveler sa réception par le public. Selon Kathryn Bennetts, Artifact peut même se lire comme un Lac des Cygnes contemporain. Faisant allusion à l’importante sollicitation du haut du corps chez Forsythe, elle suggère par la même occasion une autre lecture du ballet, une sorte de prélude au Black Swan, avec ces danseurs poussés à danser toujours plus vite par deux maîtres de ballet un tantinet excentriques, au point que dans certains tableaux, la grâce finit par laisser place à des mouvements mécaniques d’automates…
Le cycle Forsythe se poursuit jusqu’au 17 décembre à Chaillot. Ensuite, vous pourrez retrouver William Forsythe dans l’exposition « Danser sa vie » au Centre Georges Pompidou : une vidéo le présente alors qu’il interprète un solo en 1974 puis lors d’une conférence où il expose ses Improvisation Technologies (2011).
« Artifact is a ballet about ballet. » William Forsythe
Visuels : © Johan Persson
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