À travers le conte de Peau d’âne, Emilio Calcagno dissèque nos angoisses
Avec sa compagnie ECO, le chorégraphe Emilio Calcagno nous livre sa vision du conte Peau d’âne, encore jamais présenté sous forme de ballet. À des lieues de la version acidulée et fraîche de Demy, il remonte le cours du temps pour en ressusciter toute l’insolence originelle.
Le Peau d’âne d’Emilio Calcagno débute par une vidéo aux allures de clip arty, qui fouille les restes d’un accident de voiture. Une belle jeune femme a péri. De jeunes hommes accourent au ralenti depuis un château. Mais cette introduction en images filmées cède rapidement la place à des personnages de chair et d’os. Derrière les dorures du décor, le baroque des costumes, et l’emphase de la musique Nathaniel Mechaly, il apparaît vite que le chorégraphe ne reprend les conventions du ballet narratif classique que pour mieux souligner son intention : actualiser les lectures possibles de ce vieux conte, en puisant dans les versions des frères Perrault et Grimm pour en sonder les ramifications psychologiques.
Ainsi, mises en valeur par les éclairages savants d’Abigaël Fowler, qui serviront magnifiquement la chorégraphie de bout en bout, ce sont des questions bien contemporaines qui s’imposent à nous : certes, le père endeuillé ne met pas longtemps à céder au voyeurisme et à la tentation de l’inceste envers sa fille chérie, mais dans les familles monoparentales ou recomposées, où se situe la place de la jeune fille aux côtés de son père ? Vers quelle image de référence peut-elle alors se tourner pour se construire ? Autant de questions dont les réponses restent à imaginer. Le corps à corps au ras du sol auxquels se livrent le père et la fille, l’un pour tenter de la soumettre à son désir, l’autre pour défendre sa liberté intervient juste après que la fille a interrogé le portait de sa mère défunte. La comparaison est si écrasante, que la pauvre poursuit sa propre image jusque dans son ombre.
Autre tableau abordé de manière résolument contemporaine, la fuite de Peau d’âne dans la forêt devient chez Calcagno une scène aux résonances multiples, dans une ambiance sourde et mystérieuse. Une forêt aussi menaçante que chez les frères Grimm, peuplée d’hommes inquiétants, capuchonnés, qui convoitent évidemment la virginité de notre héroïne. Ce qui est présenté comme une scène de viol pourrait tout aussi bien se lire comme la peur de l’inconnu devant la défloraison, ou le pire cauchemar du père confronté aux nombreux prétendants qui tournent autour de sa fille. Trouble renforcé par le judicieux accessoire capillaire dont être vêtue Peau d’âne, à la poitrine dénudée : une perruque qui lui voile le visage, sa longue chevelure blonde raidie semblant emportée par le vent. De la perte de l’identité à la petite mort, il n’y a qu’un pas… qu’Emilio franchit, en insistant sur l’ambivalence des pulsions érotiques : c’est dans la même situation de vulnérabilité que Peau d’âne découvre son pouvoir de séduction sur un Prince charmant falot, en apprenant à se servir de ses charmes pour dompter l’inconnu et parvenir à ses fins. Méfiez-vous des apparences, les habits ne font pas le moine et sous les peaux d’ânes se cachent parfois de troublants succubes. La victime n’est pas toujours celle que l’on croit.
À travers de beaux mouvements à l’unisson et une danse marquée par les détentes et les saccades, secouée de multiples crispations et convulsions, Calcagno peuple la cour du roi de toutes sortes de créatures – séductrices vénales qui espèrent se faire épouser par le roi, serviteurs zélés qui s’empressent de façonner les robes incroyables exigées par Peau d’âne, danseuses de cabaret aux combinaisons lamées or… Un enchantement merveilleux, qui ressuscite nos émotions d’enfant tout en libérant nos pulsions cathartiques les plus actuelles. Ma jeune accompagnatrice est restée captivée.
Crédits photographiques : Peau d’âne, Emilio Calcagno © Olivier Saint-Laurens
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