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[Interview] Rona Hartner, chanteuse : “faire un rosaire pour les discothèques”

[Interview] Rona Hartner, chanteuse : “faire un rosaire pour les discothèques”

12 February 2015 | PAR Matthias Turcaud

Chanteuse, musicienne et actrice franco-roumaine chantant aussi en anglais, allemand, espagnol, italien en plus du français et de la langue tzigane, Rona Hartner est une bête de scène à l’entrain plus que contagieux. Avec son nouvel album, The Balkanik Gospel, dans les bacs en septembre prochain, elle défriche de nouveaux terrains vierges pour la musique tzigane. Un disque qui montre aussi une facette plus apaisée du personnage. Une sérénité progressivement retrouvée grâce à sa conversion au catholicisme, survenue il y a plus de dix ans. On parle foi, musique et piratage dans un bistrot cosy de la butte Montmartre, son quartier de prédilection. Rona Hartner se produira en live à L’Alimentation Générale pas plus tard que le 12 mars prochain !

Comment vous est venue l’idée demélanger gospel et musiques balkaniques ?

L’idée a commencé à germer à partir de 2001. A l’époque, j’ai effectué une grande conversion. La conversion, c’est un peu comme le retournement d’une crêpe, on change complètement de vie du jour au lendemain, puis on balance un peu vers l’inconnu, on marche sur des traces qui se dessinent au fur et à mesure, tout en faisant confiance au témoignage de gens qui ont déjà vécu ça. Donc je suis devenue très croyante. J’ai vécu plusieurs guérisons et plusieurs miracles à l’église Sainte-Trinita et aussi grâce à un mouvement qui s’appelle « le Renouveau charismatique ». Il s’agit de vivre dans la chasteté, dans la paix, d’aller à la messe, de renoncer au consumérisme, et j’ai changé du tout au tout … En 2004 je suis allée à Lourdes pour faire un pèlerinage avec le Pape Jean-Paul II. Là, avec un ami on a eu envie de faire du swing gospel – c’est la mode en ce moment le swing gospel. On s’est mis à chanter « Sing, sing, sing, everybody starts to sing », on délirait, on dansait, il y avait une grande joie intérieure. Puis, le projet a commencé à prendre vie, j’avais envie que ce soit comme un rosaire pour le « dance floor ». J’ai commencé à jouer cette musique sur scène avec plusieurs musiciens d’Amérique du Nord. La première collaboration, c’était avec Serge Leonardi, un guitariste, bassiste, compositeur, qui m’a accompagné lors d’un concert à Notre-Dame de Montmartre. Mais après plus rien, parce qu’il n’y a pas de « scène chrétienne ». Et puis, un producteur qui avait vu le concert à Notre-Dame est venu me voir. Il m’a dit : « Je veux produire cet album, appelle-moi quand tu es prête ». Depuis, dix ans ont passé, et j’ai continué avec ces chansons-là, je les ai travaillées, retournées dans tous les sens, je les chantais avec une formation espagnole. J’ai composé vingt-cinq titres parmi lesquels on a choisi ceux de l’album. La plupart des textes sont co-écrits avec Claude Lemesle. Je ne voulais pas que ce soient des textes purement catholiques, du genre « Jésus reviens, Jésus reviens », mais plutôt un hommage à la nature, à la beauté, au partage. Alors forcément, il y a des textes qui parlent de la foi – c’est ça le « gospel » – Mais l’idée c’était de remercier Dieu pour l’amour, pour le vin et la fête !

Dieu et la fête, c’est ce qui compte pour vous ?

Oui, on a un héritage, on a reçu un truc. La plupart des gens ont l’impression d’être déshérités, alors qu’ils ont tout ! Je crois qu’on a une aventure extraordinaire qui s’appelle la vie, et qu’on a déjà vraiment tout reçu. Après, il faut savoir l’accueillir, savoir se satisfaire de ce qu’on a reçu, et le partager. Une fois, j’ai rencontré un mendiant dans la rue. C’était Noël et je l’ai invité à un repas à l’église. Il était tellement content d’être accueilli et de manger qu’il a sorti dix euros pour faire un cadeau à ma fille. Je lui ai dit : « Dix euros, tu fais ça en trois jours ! A Paris, personne ne donne de l’argent ». Lui me dit : « Non, Dieu me donne toujours ». Je lui dis : « Comment tu peux dire que Dieu te donne toujours, puisque tu dors dehors et que tu fais trois euros par jour ? Comment tu peux avoir le sentiment que tu reçois tout quand tu es au bout du rouleau ? Alors qu’il y a des gens qui ont tout et qui ont une impression de vide, de désarroi ». Mon album parle surtout et avant tout de ça. Donc, pour moi, ses dix ans de gestation, c’est du concret. Et maintenant j’ai la chance d’avoir été séduite par une fanfare : le Zuralia Orchestra. Ils ont voulu chanter pour mes quarante ans. Du coup, je leur ai promis de ne pas les lâcher. Et ils m’ont fait le cadeau de travailler mes titres et de les arranger façon Balkans.

Vous pouvez nous en dire un peu plus de cette fanfare ? 

Le Zuralia Orchestra ne se produit que depuis deux ans sur la scène musicale en Roumanie. Le clarinettiste a fait partie de plusieurs groupes auparavant, et puis il a réfléchi à ce concept, il a trouvé les autres musiciens pour former cette fanfare. Ils ont été deux fois dans la pré-sélection pour l’Eurovision en Roumanie et ont obtenu le troisième prix dans l’un des plus gros festival de fanfare au monde. Ils ont chanté en première partie de Goran Bregovic en Roumanie – Goran Bregovic ne voulait qu’eux ! – Ils ont co-produit The Balkanik Gospel avec moi, et sur l’album ils interprètent aussi quelques titres à eux. Je suis particulièrement fière de cet disque, parce qu’il parle d’une foi tzigane en fait. Et aujourd’hui on ne parle pas des tziganes comme des gens qui ont des principes, une foi, des familles, des valeurs, un héritage à transmettre. Quand on parle des tziganes, on laisse entendre que ce sont des gens qui aiment dormir dans des baraques, qu’ils ne savent que voler, qu’ils ne savent pas travailler… On parle d’eux comme on parlait il y a deux cent ans des Noirs dont on considérait qu’ils n’avaient pas d’âme. Moi, je parle des tziganes, depuis longtemps, depuis Gajdo Dilo (nldr : un film de Tony Gatlif, dans lequel Rona Hartner joue également), jusqu’à mes précédents albums, Nationalité vagabonde, etc. Je défends les Tziganes, parce que je pense qu’ils ont quelque chose à nous apporter. Ils ont un Dieu, ils ont du sel ! En Roumanie, on dit qu’un peuple sans Dieu est comme un plat sans sel. Bref, pour moi, ils ont du goût, des traditions. Donc j’ai envie de leur rendre hommage, pour que les gens et les médias cessent de les discriminer. 

 

Selon vous, en quoi le gospel et la musique des Balkans se rejoignent-ils ?

Ce sont des musiques qui se rejoignent parce qu’elles parlent toutes les deux de l’exploitation, des gens qui n’ont pas droit au chapitre – pour le gospel, les esclaves n’avaient pas le droit à la parole, alors ils s’exprimaient d’une autre façon, ils se plaignaient à Dieu. Il y a beaucoup de choses en commun, notamment le côté « transe ». Dans le gospel, on guérit par le chant, dans la musique gypsy, on guérit aussi par la musique. On exorcise la tristesse, on exorcise nos sentiments de culpabilité, et on retrouve la joie. Il y a aussi une joie qui est cachée en nous, et parfois on ne sait pas comment l’extérioriser. Quelquefois on est là, les jours passent un peu pareils, et on ne sait pas à quel point on est en fait super méga joyeux en nous-mêmes, et il faut la musique tzigane pour sortir ça. On guérit par la fête, je crois beaucoup en ça. 

Par rapport à d’autres de vos albums – par exemple la bande-son que vous avez faite pour Gajdo Dilo, que je trouve très énergique et agitée – cet album-là est plus apaisé à mon goût. Ca correspond à un apaisement dans votre vie, dans votre carrière ?

Bien sûr. En même temps, dans Gajdo Dilo, je représentais un peu une vision de Tony Gatlif, et je venais aussi d’un milieu plus rock auparavant. Là, il y a quelqu’un qui m’a fait faire un saut dans l’espace, parce que je fais de la scène depuis l’âge de dix-huit ans quand même. Donc il y a vingt-deux ans je chantais sur scène et j’étais tendue, encore plus tendue que le rock ! Maintenant, il y a de la maturité, je ne pourrai plus jamais chanter comme au début, je ne pourrai plus jamais chanter avec autant de douleur. C’est hallucinant de voir comment j’ai évolué dans le temps, entre ce que je faisais avec David Lynch par exemple. C’étaient des titres de folie, de rage, de nerfs, de souffrance, de désespoir. Maintenant, je ne suis plus du tout là-dedans, je vis avec plus d’espérance. Quand j’ai une joie, je pense que je peux aller loin dans l’exultation et ça peut devenir contagieux. Je n’ai plus peur de la joie…

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier de chanteuse ?

La scène. La scène, la scène, la scène. J’aime beaucoup aussi le moment de création, de composition, d’imagination, que je suis à la maison et que je sors tout – texte, musique et tout, je dis « Wow, c’est moi qui ai fait ça », ça me dépasse un peu, mais le plus j’aime la scène quand même, ce partage avec le public, où il se passe tout le temps autre chose. Tu peux faire dix fois la même playlist, de par le public ça change, c’est très vivant, et j’ai tout le temps des émotions. Là je sors de quatre ans de scène, et j’ai toujours des émotions, j’ai tout à coup le trac, ou j’ai sommeil. Le trac se manifeste différemment, tu ne l’identifies plus comme le trac, mais après tu te rends compte que c’est bien lui. Quelques fois j’ai des fourmis dans le ventre … Ca dépend, ça dépend du public, des enjeux et tout, mais la scène c’est le plus grand kiff.

 

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec DJ Tagada (nldr : avec lequel Rona Hartner a enregistré l’album Gypsy Therapy) ?

Oui, c’est une superbe collaboration. On s’est croisés en 2005, et on a sorti un album finalement l’année dernière – donc, en général, je dois remarquer que mes projets prennent souvent dix ans pour se faire. Heureusement que je mène plusieurs projets en même temps, donc ça ne sera pas à cent ans que j’aurai fini mon dixième album ! Mais les albums ont besoin de temps, les chansons ont besoin d’être chantées, d’être ressenties. Il faut faire beaucoup de compos, pour en trouver quelques-unes de bonnes. Je suis très contente de la collaboration avec Tagada, parce qu’on a travaillé aussi avec de très grands musiciens – comme Sébastien Giniaux (nldr : à la guitare) ou Ivica Bogdanovic (nldr : à l’accordéon). On a aussi collaboré avec énormément d’artistes différents. Mais d’après moi, il n’a pas eu suffisamment de public, et il est tombé en plein piratage – ce qui fait que, déjà le lendemain de sa sortie, cet album était sur les sites de piratage. Je me suis dit : « Mon dieu, est-ce que ces gens croient que les studios d’enregistrement sont gratos ? que les musiciens sont gratos ? » Tu te demandes ce que les gens pensent quand ils piratent, piratent, piratent. Ils ne se rendent pas compte. Sur un seul titre qui date de 1998, j’ai gagné trois fois plus qu’avec cet album entier. Les artistes vont en arriver à vivre dans la précarité, et ce n’est pas le but de l’art. On va faire du placement de produits, devenir des publicités ambulantes, comme, à l’époque des « hommes-sandwichs » : « Mangez nos sandwichs, mangez nos sandwichs… et achetez notre disque ! » Pour Gypsy Therapy, on aurait dû peut-être faire des vidéo-clips. On n’a pas joué cette carte, on a joué la carte classique et c’est dommage, parce que l’album est magnifique. Mais il faut chaque jour s’adapter à une nouvelle façon de faire les choses. Enfin, les gens l’ont quand même beaucoup aimé, et d’ailleurs on a fait cinq ans de tournée avec Gypsy Therapy.

Donc on vous retrouve avec Gypsy Therapy au mois de mars à l’Alimentation Générale, en attendant The Balkanik Gospel…

Oui, le 12 mars à l’Alimenation Générale avec Gypsy Therapy et pour The Balkanic Gospel, la sortie est prévue le 8 avril, avec dans la foulée, le vernissage de l’album à Paris au « Divan du Monde ».

Quoi de neuf côté cinéma …

J’ai un film qui sort le 25 mars. C’est un film sur la lutte contre les grands abattages qui s’appelle Des milliards de toi mon poussin. C’est une sorte « d’ovni-événement ». Pendant trente-deux dates du calendrier républicain, ce film végétarien sera présenté, chaque fois dans une ville différente. Donc il va faire le tour de France pendant un an. La première ville ce sera Bordeaux, avec un concert pour accompagner la séance. Ensuite, il y aura une autre date, le jour du mouton, ou le jour du trèfle ? – Il y a des jours dans le calendrier républicain qui sont très marrants, et qui existent vraiment ! – Et Il va être sur Internet, je te conseille d’aller le voir. C’est avec Antoine Basler, Willy Cartier et beaucoup d’acteurs connus (nldr : réalisé par Mathilde Laconche).

 

Le site de Rona Hartner : ici. Pour écouter toutes les chansons de Gypsy Therapy : ici. Toutes les chansons de The Balkanic Gospel : ici

Concert Gypsy Therapy  le 12 mars à L’Alimentation Générale, 64 rue Jean-Pierre Timbaud (11ème). Tél. : 01 43 55 42 50. Sortie de l’album The Balkanic Gospel : en septembre.

Crédits photos : Paul Hitter pour The Balkanic Gospel, Dana & Stéphane Maïtec pour Gypsy Therapy.

Remerciements chaleureux à Rona Hartner et l’attaché de presse Pascal Villa Vieille.

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Matthias Turcaud
Titulaire d'une licence en cinéma, d'une autre en lettres modernes ainsi que d'un Master I en littérature allemande, Matthias, bilingue franco-allemand, est actuellement en Master de Littérature française à Strasbourg. Egalement comédien, traducteur ou encore animateur fougueux de blind tests, il court plusieurs lièvres à la fois. Sur Toute La Culture, il écrit, depuis janvier 2015, principalement en cinéma, théâtre, ponctuellement sur des restaurants, etc. Contact : [email protected]

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