Classique
Retour sur le concours La Maestra – mine de grands talents

Retour sur le concours La Maestra – mine de grands talents

28 September 2020 | PAR Victoria Okada

Le concours La Maestra s’est tenu à la Philharmonie de Paris du mardi 15 au vendredi 18 septembre, en remplacement des dates initiales prévues au mois de mars. L’indonésio-américaine Rebecca Tong a remporté le premier prix.

220 candidates de 51 pays se sont présentées pour la sélection sur dossier : les cheffes du monde entier manifestaient ainsi leur intérêt pour cet événement unique. Il est vrai que des critiques voire des diatribes s’élevaient pour « dénoncer » une forme de discrimination positive, certains considérant que les femmes sont déjà suffisamment nombreuses dans ce domaine. Mais quand on constate qu’elles ne représentent que 6 % d’effectif des chefs d’orchestre, davantage d’efforts devront être fournis afin de réduire ce décalage et de braquer les projecteurs sur les talents enfouis dans la direction d’orchestre. Ainsi, un concours réservé aux femmes serait un besoin, tout comme d’autres formes de luttes contre toute sorte de discrimination — et c’est sur ce point que Claire Gibault et Laurent Bayle, les deux initiateurs du projet, ont souligné dans leur allocution avant la remise des prix. Ils notent d’ailleurs dans l’introduction du programme : « Si de plus en plus de femmes mènent désormais heureuses et belles carrières, les discriminations à leur encontre sont encore trop souvent d’actualité. […] Leurs histoires, qui décrivent des situations très contrastées d’un pays à l’autre, nous ont confronté dans notre engagement ». Si l’idée d’un concours contribue à la reconnaissance de musiciennes exceptionnelles et accélère leurs carrières, nous ne pouvons qu’adhérer à cette initiative.

Claire Gibault et Laurent Bayle lors de la remise des prix © O.H.

Le vendredi 18 septembre, après un concert des trois finalistes (dans l’après-midi ont eu lieu les répétitions générales où chacune a fait procéder au dernier travail avec l’orchestre), différents prix ont été décernés.
Le premier prix Rebecca Tong, Indonésio-américaine d’origine chinoise, est actuellement cheffe résidente du Jakarta Simfonia Orchestra. Elle est également assistante auprès du département Opéra du Royal Northern College of Music de Manchester, du BBC Philharmonic Orchestra et du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra. Sa direction est dynamique, ses indications précises, en utilisant tout le corps pour s’exprimer au maximum. Les musiciens d’orchestre manifestent visiblement un plaisir de travailler avec elle. Sous sa baguette, l’œuvre imposée à l’épreuve finale, la nouvelle composition de Fabio Vacchi, Was Beethoven Africain ? est très sonores et évoquent éloquemment les bruits d’une savane. Cette cacophonie ordonnée par son soin se démarque par la vivacité des propos et par sa vision qui en dit long pour sa personnalité musicale, ce qui est également clairement perceptible dans le finale de la Symphonie héroïque de Beethoven.

Le deuxième prix va à la franco-britannique Stephanie Childress, 21 ans, la benjamine des douze cheffes retenues à concourir à Paris. Egalement violoniste, elle a obtenu sa licence de musique à l’Université de Cambridge en 2018, l’année où elle a fait ses débuts comme cheffe et soliste avec le Southbank Sinfonia. Grâce à un sens d’analyse, elle construit chaque œuvre de manière assez cérebrale sans tomber toutefois dans l’intellectualisme. Lors de la demi-finale et de la répétition générale pour la finale, elle donne des indications succinctes mais efficaces. Son calme et son sang froid peuvent être un immense atout ; il serait intéressant de voir comment elle parvient à enflammer l’orchestre entier dans des œuvres d’envergure nécessitant une endurance (Mahler, Bruckner, Wagner…)

Le troisième prix a été attribué à la Colombienne Lina Gonzalez-Granados. Elle est assistante auprès de Seattle Symphony Orchestra et du Philadelphia Orchestra, et grâce à l’International Sir Georg Solti Conducting Apprenticeship, elle assiste Riccardo Muti à l’Orchestre Symphonique de Chicago jusqu’en juin 2021. Elle a fondé en 2014 Unitas Ensemble, un orchestre de chambre basé à Boston spécialisé dans la musique latino-américaine. Bouillonnante et intuitive, mais à la fois méticuleuse dans les détails, sa direction est un fascinant mélange de liberté et de contrôle. Dans le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, elle opte pour les lignes mélodiques robustes et les parties harmoniques cadrées, privant quelque peu la fluidité.

Parmi les candidates qui n’ont pas atteint le stade ultime, notons la Vénézuélienne Gladysmarli Vadel qui a obtenu le prix Paris Mozart Orchestra décerné par les musiciens de celui-ci. Après ses études musicales dans un choral et des orchestres de jeunes, elle se dirige vers la direction d’orchestre dès 2016 dans le cadre d’El Sistema. Depuis 2018, elle est directrice musicale de l’Orchestre Symphonique des Jeunes du Conservatoire Simon Bolivar. C’est une cheffe à une forte personnalité avec des idées musicales foisonnantes. En plus de son talent incontestable qui s’exprime encore de façon brute, elle est dotée d’un élan communicatif qui donne le plaisir de travailler sous sa direction.

Tout au long des épreuves, l’autorité naturelle de ces femmes se relevait de manière évidente. Malgré les tempéraments et les caractères très différents, elles ont toutes une attention particulièrement respectueuse et amicale auprès des musiciens ; assister à leurs échanges étaient un réel plaisir. Mention spéciale pour Paris Mozart Orchestra qui a assuré le bon déroulement de toutes les épreuves par leurs magnifiques prestations.
Les trois lauréates bénéficieront d’accompagnements professionnels dans le cadre de l’Académie, sous d’égide de la Philharmonie de Paris et de Maris Mozart Orchestra pour une durée de deux ans.
Le comité du Concours est essentiellement constitué d’administrateurs d’orchestres européens, et le jury, de chefs et personnalités d’origine européenne. Pour les éditions futures, plus de membres non-européens seront les bienvenus pour un meilleur équilibre.

La deuxième édition de La Maestra aura lieu en mars 2022. L’annonce a été saluée avec une salve d’applaudissements et des cris de bravo.

Photos : Remise des prix © V.O. 

Akzak, le spectacle de danse qui fait vibrer les corps aux Francophonies 2020 !
“Un soupçon de liberté” de Margaret Wilkerson Sexton : regard d’une famille noire à La Nouvelle-Orléans
Victoria Okada

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration