Fictions
“Un soupçon de liberté” de Margaret Wilkerson Sexton : regard d’une famille noire à La Nouvelle-Orléans

“Un soupçon de liberté” de Margaret Wilkerson Sexton : regard d’une famille noire à La Nouvelle-Orléans

28 September 2020 | PAR Alice Martinot-Lagarde

Pour son premier roman, Margaret Wilkerson Sexton choisi de raconter, sur trois générations, l’histoire d’une famille noire à la Nouvelle-Orléans, ville symbole des fractures sociales et raciales aux États-Unis. Un livre puissant mais sans prétention, publié chez Actes Sud. 

Construit comme une fresque familiale, le récit s’étend sur presque soixante-dix ans, entre 1944 et 2010, en faisant évoluer les personnages en écho les uns avec les autres et où chacun y marque son empreinte. Il y a d’abord Evelyn, jeune fille sérieuse et ambitieuses, elle fait des études pour devenir infirmière quand elle rencontre l’homme avec qui elle veut passer sa vie. Mais celui-ci vient d’une famille pauvre et désunit, ce qui l’empêche d’avoir l’approbation de son père. On comprend que la situation des noirs dans l’entre-deux-guerre est très fragile. Ils se font une place dans une société encore violemment ségréguée et raciste qui ne permet de prendre aucun risque. Si Evelyn est privilégiée, elle va rapidement constater sa vulnérabilité en tant que femme noire et que les espoirs et libertés de la jeunesse ne suffisent pas. 

L’entourage de Jackie non plus n’approuve pas sa relation avec son mari. La petite fille d’Evelyn peine à élever son bébé seule depuis le départ de son mari, addict au crack. Dans l’Amérique de Reagan frappée par la crise économique, elle se bat contre les préjugés avant d’être vite rattrapée par la réalité. T.C., sont fils, est le portrait d’une génération marquée par les ravages de l’ouragan Katrina et de la drogue. Il grandit dans cet environnement instable où, pour autant, l’amour des les siens reste indestructible. On ressent au travers de son personnage tout l’impact des vies antérieures dans sa famille et ce, malgré tous les efforts et les espérances de ses aînés d’offrir un futur plus glorieux à leurs enfants. Il n’est pourtant jamais question de reprocher d’où l’on vient, c’est aussi un hommage aux parents qui donnent tout pour le bonheur et la réussite de leurs progénitures. 

T.C. aussi tombera dans la drogue, comme un fardeau transmis de génération en génération et qui laisse un goût amer. On entre sans prétention dans l’intimité de ces moments où tout s’écroule et où ne peut que subir. Margaret Wilkerson Sexton raconte avec peu de contexte et sans les fioritures politiques dénonciatrices qui auraient retiré son âme au roman. Le style est clair, fluide et n’accuse personne. L’autrice pose ici un témoignage sous forme de photo de famille, la marque des vies qui ne font pas de cadeaux mais où les liens du sang sont plus forts que tout, malgré une fatalité qui veut qu’être noir signifie qu’il faut en payer le prix. Un premier roman lourd de sens qui mérite qu’on s’y attarde.

Margaret Wilkerson Sexton, Un soupçon de liberté,  trad. Laure Mistral, Actes Sud, 336 p., 22,50 euros. 

Visuel : © Couverture du livre / Actes Sud 

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