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[Chronique] « Poverty » de Motorama, la flamme d’une bougie dans une nuit hivernale

[Chronique] « Poverty » de Motorama, la flamme d’une bougie dans une nuit hivernale

12 February 2015 | PAR Pierrick Prévert

Ils ne finiront pas de nous étonner. Après avoir autoproduit leur album Alps en 2010, disponible en téléchargement gratuit en version originale 9 titres sur leur site, puis signé chez Talitres (Frànçois and The Atlas Mountains, The Walkmen, The Callstore) en 2012 à l’occasion de la sortie de leur deuxième album Calendar, les Russes de Motorama reviennent cette année avec un nouvel album, Poverty, qui apporte une pierre de plus à l’édifice du post-punk et de la new-wave, et brille par une esthétique de la simplicité sublimée par ses contrastes – le climat continental en chanson.

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Originaires de Rostov-sur-le-Don, ville de Russie située au pied de la Mer d’Azov, où l’absence de scène musicale indépendante locale les a poussés à apprendre seuls, via internet, à faire leur musique avec les moyens du bord, Vladislav Parshin (chants, guitare), Airin Marchenko (basse), Maksim Polivanoc (guitare), Alexander Norets (clavier), Roman Belenky (batterie) apportent un renouveau enthousiasmant dans le post-punk et la new-wave (certains diraient « cold wave »), sans pour autant révolutionner le genre. Régulièrement comparés du fait de cette proximité à Joy Division, The National ou encore The Cure, leur chercher des similarités ne paraît pourtant pas leur rendre hommage, tant ils disposent d’un style qui leur est propre et sont en expérimentation constante – leur projet secondaire Ytpo (prononcez « outra »), qui produit un son un peu plus brutal et chanté en russe, en est un exemple.

Expérimentations, donc, et contrastes. Car tout est contraste chez Motorama – de l’ouverture sur « Corona », un morceau qui paraît diablement entraînant et sucré jusqu’au moment où l’on comprend les paroles « Bleeding nose, you are here lying chilled to the bone », à la chaleur d’une guitare ou d’un synthé qui carillonnent et sont opposés à la froideur des textes horriblement sombres comme sur « Dispersed Energy » : « Crowd of dirty bodies, burnt tongues, fried bones ». Parfois aussi synthé, basse, et boîte à rythmes (do-it-yourself oblige) semblent se lancer dans une course effrénée, comme sur « Write to me » mais, là encore, Vladislav déclame nullement impressionné : « Write to me (…) Don’t say a word, I’m sick of talking ».

On se retrouve donc presque honteux à danser sur « Lottery », essayant désespérément de ne pas écouter les paroles pour ne pas avoir à se sentir coupables. Même quand le morceau « Old » s’ouvre sur « I love the taste of cigarettes, I love the taste of alcohol », et que l’on se prend à espérer une éclaircie, l’aveu dépressif nous refroidit aussitôt : « I don’t want to make an effort but I don’t want to be alone ». Ce sont dans ces contrastes que le groupe construit son identité, réussissant mieux que précédemment dans ce troisième album, plus rythmé, à donner une voix propre à chaque instrument et une identité à chaque morceau.

L’esthétique que le groupe cherche à construire puise son inspiration dans tous les arts : si de nombreux poètes sont cités comme sources d’influence, le cinéma — dont d’ailleurs le groupe tire son nom — n’est pas en reste. En illustration, le clip du titre Heavy Wave utilise des extraits d’un court métrage intitulé « Present Continuous » de Vladimir Kobrin. Un court métrage dont les paysages ont été filmés en noir et blanc (bien évidemment) et où le réalisateur expliquait avoir utilisé un filtre rouge afin d’obtenir un ciel sombre pour approfondir l’effet inquiétant recherché. Et l’on se perd dans nos réflexions sur l’apport de ces influences, tandis que la voix de Vladislav, lugubre dans son écho, chantonne sur un air de ballade : « Goodbye my past, here comes a vague taste of bitter future ».

Motorama, Poverty, Talitres, 2015, 30 min.

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Pierrick Prévert

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